Document de carthage Acte ii : a-t-on enterré la hache de la guerre… contre la corruption ?
Adessein de relancer la machine « Tunisie » manifestement bien grippée en raison des soucis tant économiques, sociaux qu’institutionnels, le président de la République, dans une énième « initiative de relance », fait appel aux parties engagées dans le Document de Carthage afin qu’elles fassent une évaluation du chemin parcouru depuis le paraphe dudit document et l’intronisation de son candidat au poste actuel de chef de gouvernement en « sursis », à savoir Youssef Chahed. Ce qu’il convient d’appeler désormais le document de « Carthage I » était une feuille de route destinée au gouvernement et dans lequel ont été fixées cinq priorités nationale, parmi lesquelles figurait celle de la lutte contre la corruption et la bonne gouvernance qui occupait une belle place au troisième rang de cette hiérarchie de priorités. Grande fut la satisfaction de l’opinion publique de voir un gouvernement se mettre en place avec comme objectif prioritaire de mener une lutte sans répit et sans repos contre le fléau qui mine le plus le pays au plan économique, mais aussi sécuritaire avec les liens dangereux que l’on connaît entre la contrebande, le commerce informel et les réseaux terroristes. Plus grand fut le contentement des citoyens de voir le chef du gouvernement initier une opération Mani pulite et cela en « coffrant » manu militari quelques grands bonnets de la corruption, les « GO JO » d’encouragement fleurissaient un peu partout sur la Toile, les plateaux de télévision et les journaux. Au « on n’y peut rien »; « c’est plié, la corruption a métastasé » se sont substitués de plus optimistes « on va gagner » et « à volonté la politique de fer, rien n’est impossible ». Cela d’autant plus que Youssef Chahed, le jour même où l’opération « coup de poing » a eu lieu, avait repris dans un lyrisme qui lui est peu familier le slogan de l’Instance nationale de lutte contre la corruption: « C’est soit la corruption, soit la Tunisie et nous avons choisi la Tunisie ». Dans le domaine de la lutte contre la corruption comme dans tous les autres domaines, sommes-nous sortis de l’auberge après presque deux ans du gouvernement Carthage I ? La réponse est d’évidence négative, mais est-ce que Youssef Chahed et son gouvernement sont pour autant restés les mains croisées n’entreprenant rien pour contrer ce phénomène et poser les jalons d’une bonne gouvernance. La réponse est d’évidence tout autant négative. En effet, le chef d’orchestre appelé à jouer la partition « Document de Carthage I » a essayé d’initier des réformes de fond, ouvrant quelques chantiers ici et là, mais force est de constater que sur le point qui nous intéresse, il y a eu quelques avancées mais ces dernières ont été souvent pour le moins timides et surtout quelque peu « embellies » par des artifices de communication. Alors que l’opinion publique s’attendait légitimement à voir émerger des recommandations de la Commission des experts qui a planché sur le « Document de Carthage II », une feuille de route plus musclée à propos de ce thème vital pour les grands équilibres de notre pays et même sa survie, grande fut la déception des Tunisiens à la lecture du contenu « fuité » de ce document. Ainsi si l’on croit les indiscrétions sorties des bureaux fermés du palais de Carthage, il ressortirait contre toute attente de ce document de Carthage II a priori plus technique et surtout plus consistant car concocté par une commission d’experts réputés… que la guerre contre la corruption et la thématique de la bonne gouvernance ne soit plus un axe stratégique de déploiement pour les autorités publiques ?! Ainsi, une commission d’experts parmi les plus distingués reléguerait cette question « cruciale » pour l’existence même de l’Etat tunisien au second plan ? Ces mêmes experts qui certainement ont dû faire tous les plateaux de télévision, participer à une multitude de colloques, séminaires, symposiums et rencontres sur ce thème pour dire que tout passe par l’éradication du fléau de la corruption et la mise en place des outils de la bonne gouvernance. Cette attitude pour le moins surprenante, autant de la part de nos « éminents » experts que de nos « honorables » politiques, nous fait croire à deux hypothèses: la première serait que pour une raison sûrement très « valable », la lutte contre la corruption ne mérite plus d’être considérée comme une priorité nationale ou encore dans une seconde hypothèse tout a été entrepris pour combattre ce fléau et qu’il n’y a plus rien à faire dans ce domaines, sauf peut-être exporter notre expertise et notre savoir-faire en Scandinavie et ailleurs. Disons-le franchement, qu’a-t-on fait depuis septembre 2016 contre la corruption et pour l’instauration des standards internatio- naux de la bonne gouvernance ? Quelques progrès tendant à améliorer le cadre législatif et réglementaire, mais aussi beaucoup de beaux discours, d’effets d’annonce, il faut le reconnaître. Faisons ensemble un tour de ce qui a été promis, déclaré, signé, ratifié et comparons avec ce qui a été réellement réalisé. Vous voulez une loi sur la protection des lanceurs d’alerte ? En voilà une… belle de surcroît, mais sans que les décrets d’application nécessaires à sa mise en oeuvre ne soient promulgués ?! Vous avez demandé l’accélération de la mise en place de l’Instance constitutionnelle en charge de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption. Chose promise, chose due. En deux temps, trois mouvements et en un temps record, l’ARP, en plein mois de juillet 2017 particulièrement caniculaire, a discuté et voté, presque en catimini et sans amendements substantiels du projet de loi soumis par le gouvernement, le texte organisant cette instance. Résultats des courses : une loi en deçà du décret-loi 120-2011 qui encadre l’actuelle instance en charge de la lutte contre la corruption et plus édifiant encore… en deçà de l’article 130 de notre charte fondamentale. Vous souhaitez que le pays se dote d’une loi contre l’enrichissement personnel et le conflit d’intérêts ? Entre élections avortées des membres de la Cour constitutionnelle ( celle concernant les membres élus par l’ARP) et un agenda parlementaire qui ne donne pas de priorité à ce genre de thème… la loi traîne et ne manquera pas de traîner encore. De l’instance nationale de lutte contre la corruption aux différents corps de contrôle, en passant par les acteurs actifs dans ce domaine parmi les composantes de la société civile, ces derniers n’ont eu de cesse d’alerter les décideurs sur ce qu’il reste à entreprendre, multipliant les propositions de réformes et les actions nécessaires à l’effort de guerre contre la corruption. A ce titre, nous pouvons légitimement nous interroger sur le suivi des recommandations qui ont été faites par l’ensemble des parties prenantes et agissantes dans ce domaine. Ainsi, qu’en est-il des dix mesures d’urgence préconisées par l’Instance nationale de lutte contre la corruption et portées à l’attention du gouvernement et de ses recommandations envoyées aux signataires du pacte de Carthage en charge de l’élaboration du Document de Carthage II ? A-t-on par exemple révisé les nominations ou promotions des fonctionnaires et autres hauts responsables dont les dossiers comportent des présomptions de corruption? Qu’est-ce qui a été entrepris pour que le pôle judiciaire économique et financier, la Cour des comptes, le Tribunal administratif ainsi que l’Instance de lutte contre la corruption soient renforcés en termes de moyens matériels logistiques et humains afin qu’ils puissent assurer pleinement et efficacement leurs missions ? A-ton révisé les procédures de recrutement dans la fonction publique, particulièrement au niveau local ? A-t-on procédé à la réactivation du Haut conseil de la lutte contre la corruption qui ne s’est réuni que deux fois depuis sa création et qui est en berne depuis 5 ans ? Quel suivi a été entrepris pour mettre en oeuvre les recommandations des organes de contrôle ? Qu’attend l’exécutif pour promulguer les textes d’application de la loi relative au droit à l’accès à l’information et qui sont des outils indispensables en vue de garantir plus d’intégrité et de transparence ? A-t-on révisé le Code pénal particulièrement pour certains crimes et délits, notamment ceux relatifs à la corruption dans les marchés publics ? A-t-on introduit dans ce dernier des dispositions incriminant la corruption dans le secteur privé ? A-t-on amendé le Code de procédure pénale qui rend le processus d’instruction lent par la multiplication des procédures et voies de recours ? Le but de cette tribune n’était pas de remettre en cause ce qui a été déjà entrepris en dépit d’un bilan assez « maigrichon » dans le domaine de la lutte contre la corruption encore moins faire un réquisitoire à ceux qui ont eu le courage de diriger la Tunisie dans une période difficile ni enfin de minorer le Document Carthage II qui semble très riche en propositions en matière économique et sociale. Ces quelques lignes sont un appel pour que la lutte contre la corruption ne passe pas par pertes et profits au milieu du jeu des tractations politiciennes dans des salles enfermées. Ainsi il est impératif que les rédacteurs du Document de Carthage acte II revoient leur copie en donnant à la lutte contre la corruption toute l’importance qu’elle mérite et tout en y consignant les recommandations précédemment exposées dont l’application est autant urgente que salvatrice .