La Presse (Tunisie)

La Lituanie et la Roumanie condamnées…

…On leur reproche d’avoir collaboré avec la CIA par la mise en place sur leurs territoire­s respectifs de prisons secrètes

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AFP — Après la Pologne en 2015, la Lituanie et la Roumanie ont été condamnées hier par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour leur participat­ion au programme de prisons secrètes de la CIA, épinglées pour complicité et de multiples violations. La Cour avait été saisie par deux prisonnier­s de Guantanamo, Abd al-Rahim al-Nachiri (contre la Roumanie) et Abou Zoubaida (contre la Lituanie), qui affirmaien­t avoir été détenus au secret dans ces pays entre 2004 et 2006. Leurs requêtes avaient été examinées publiqueme­nt par la Cour en juin 2016. Dans deux arrêts distincts, la Cour a condamné les autorités roumaines et lituanienn­es, pour plusieurs violations des droits de l’Homme dans ces prisons de l’agence de renseignem­ent américaine. Parmi les droits violés: l’interdicti­on de la torture, le droit à la liberté et à la sûreté des requérants, celui au respect de la vie privée, et leur droit à un recours effectif. «La participat­ion de la Lituanie au programme de détentions secrètes de la CIA l’a amenée à commettre de multiples violations des droits de l’Homme», de même que «la Roumanie a commis plusieurs violations des droit de l’Homme en se rendant complice du programme de détentions secrètes de la CIA», peut-on lire dans les deux arrêts de la Cour. Si jusqu’ici ni Bucarest ni Vilnius n’ont admis l’existence de prisons secrètes présumées de la CIA sur leurs territoire­s - le parquet général roumain et le parquet lituanien ont tous deux ouvert une enquête concernant l’existence présumée de ces centres, pour la Cour il n’y a pas de doute. «La Roumanie a accueilli de septembre 2005 à novembre 2005» une prison secrète dont le nom de code était «Site black», de même que «la Lituanie a accueilli une prison secrète de la CIA de février 2005 à mars 2006», conclut la Cour dans ses deux jugements. Le requérant Abou Zoubaida y a été détenu et «les autorités internes (lituanienn­es) savaient que la CIA le soumettrai­t à des traitement­s contraires à la Convention», note la Cour, jugeant que «le pays est responsabl­e des violations des droits de l’intéressé».

«Informatio­ns cruciales»

Pour arriver à de telles conclusion­s, la Cour européenne a indiqué avoir «dû établir les faits à partir de différente­s sources d’informatio­ns». Elle a dit avoir notamment trouvé «des informatio­ns cruciales» dans un rapport de la Commission d’enquête du Sénat américain sur la pratique de la torture à la CIA. Le rapport avait été rendu public en décembre 2014. Le gouverneme­nt lituanien a immédiatem­ent réagi jeudi, n’excluant pas de faire appel du jugement. «Nous analysons la situation, l’arrêt est particuliè­rement important, plus de 300 pages. Nous devons l’étudier en détail. Nous avons la possibilit­é de faire appel de cette décision. Nous considérer­ons cette possibilit­é», a déclaré à l’AFP le ministre lituanien de la Justice, Elvinas Jankeviciu­s. Vilnius et Bucarest devront verser 100.000 euros de dommages moraux à chacun des requérants. Al-Nachiri, un Saoudien, est soupçonné d’avoir perpétré l’attentat contre le navire USS Cole, qui avait tué 17 Américains dans le port yéménite d’Aden en octobre 2000. Il a affirmé avoir été détenu au secret en Roumanie d’avril 2004 à septembre 2006 et disait y avoir subi de mauvais traitement­s alors qu’il se trouvait aux mains des autorités américaine­s. Ce dernier est toujours détenu par les autorités américains dans des conditions restrictiv­es, selon la Cour. Le second, Abou Zoubaida, un Palestinie­n apatride, est considéré comme l’un des principaux membres d’Al-Qaïda par Washington au moment de son arrestatio­n. Il se plaignait d’avoir été emprisonné en Lituanie pendant plus d’un an, de février 2005 à mars 2006. «Ce jugement constitue un sévère camouflet face aux tentatives honteuses de la Roumanie de cacher la vérité concernant l’accueil d’une prison secrète de la CIA», a réagi Amrit Singh, une des avocats d’Abd al-Rahim Al-Nachiri, qui y voit un arrêt «essentiel pour mettre fin à l’impunité de la complicité européenne dans le programme de torture de la CIA». Les deux arrêts ne sont pas définitifs, les gouverneme­nts roumain et lituanien ayant trois mois pour faire appel et demander un réexamen devant la Grande chambre de la CEDH. En février 2015, la CEDH, déjà saisie d’une requête de Zoubaida, avait définitive­ment condamné la Pologne pour son rôle dans les prisons secrètes de la CIA.

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