Trente ans… déjà

On sort du spectacle d’El Teatro le coeur léger, tellement on a ri. «Trente ans déjà», c’est le titre de la dernière création de Taoufik Jebali.

Douze artistes, 6 hommes et 6 femmes, pour raconter les 30 années de création de ce théâtre construit sur «Ras Kelb», une boutade de Taoufik Jebali pour parler affectueusement de sa «chose». On assiste au défilé de toutes les oeuvres majeures de l’artiste, des «Klem Ellil», en passant par «Femtella» ou «Zerofacel», ou encore «El Kheloua», etc. Dans un ballet époustouflant, les 12 acteurs en mouvement perpétuel jouent des archétypes de la société tunisienne : le malfrat, le député, le juge, le syndicaliste, les puissants, les misérables, les jeux de pouvoir, les urnes électorales transformées en poubelles, autour desquelles dansent des strip-teaseuses vulgaires, on reste figé devant cette scène inouïe où le metteur en scène nous promène entre grotesque et esthétique… Tout le monde en prend pour son grade, personne n’est épargné par la gouaille, les moqueries, la dérision. Dénonçant les immondices qui nous étouffent et l’extrême agressivité qui se banalise au quotidien. On retrouve son écriture moderne qui traite des sujets les plus sérieux avec légèreté et humour, avec ici et là des échappées poétiques et nostalgiques d’un temps révolu, où le monde était plus amical, où il rend hommage posthume à nos artistes, les Riahi, les Jouini et autres, usant à souhait des piques qui titillent, qui font réfléchir, qui font mal aussi parfois. On retrouve son souci du détail, le décor est d’une grande sobriété laissant ainsi la place à la parole et au jeu des acteurs. «Trente ans déjà» est un spectacle plein de vie, de rires, d’étonnement, il se termine par l’idée que malgré tout, la vie pourrait être autrement. Et par la question ultime : après trente ans, je ne sais toujours pas, c’est toujours une énigme.