La Presse (Tunisie)

Une responsabi­lité partagée

- Samir DRIDI

Le nombre des actes de violence causant de graves blessures aussi bien aux supporters qu’aux joueurs, arbitres, et policiers a été estimé en 2017 à 680. Sans compter les dégâts matériels conséquent­s dans les stades que doivent dédommager les équipes et associatio­ns sportives déjà en butte à des difficulté­s financière­s. La violence dans les stades est un phénomène complexe causé par plusieurs facteurs dont la marginalis­ation des jeunes, relève l’Institut tunisien des études stratégiqu­es dans une récente étude

L’Institut tunisien des études stratégiqu­es vient de publier une importante étude qui ne se limite pas à recenser l’ensemble des actes de violence dans les stades, mais adopte une analyse sociologiq­ue de cette question et essaye de remonter à son origine et ses causes, tout en tirant les conclusion­s et préconisan­t les remèdes à même de soigner cette gangrène. Elaborée et présentée par le professeur en sociologie Jawhar Jamoussi avec la collaborat­ion des deux chercheurs Sonia Hached et Seif Ghabri lors d’une conférence donnée à Tunis, l’étude s’est penchée sur la question de la violence( symbolique, verbale et matérielle) qui est devenue un phénomène inquiétant dépassant le cadre des stades de football. La violence s’est propagée dans les établissem­ents scolaires et les cafés et même dans les espaces virtuels (médias et réseaux sociaux). Fait nouveau et inhabituel, elle est présente même au sein des supporters d’une même équipe. Le phénomène est devenu très complexe et il est comme manipulé et catalysé par d’autres facteurs, à l’instar de l’enjeu et la violence inhérente elle-même à l’homme. Cela est beaucoup plus perceptibl­e chez les jeunes et les groupes des supporters «ultras».

Des jeunes en perte de repères

L’intoléranc­e, qu’elle soit politique, religieuse ou sportive observée chez une frange de spectateur­s sportifs, a énormément contribué à l’expansion de la violence surtout dans les stades de football, devenus des espaces où l’on peut exprimer librement et décharger les émotions et le stress sur fonds d’un vécu imprégné de marginalis­ation, de refoulemen­t, de prostratio­n et d’injustice. Le comporteme­nt du supporter est ainsi façonné et commandé par les sentiments. Il n’obéit plus à la logique. La violence devient la traduction des maux et problèmes sociaux et l’expression de la frustratio­n. S’exprimant dans le cadre de la présentati­on de cette étude, le président de l’Ites, Neji Jalloul, a fait savoir que la violence dans le milieu sportif, notamment dans les stades, connaît des proportion­s alarmantes. Il a reconnu qu’il existe un problème d’autorité en Tunisie et que nos jeunes étaient en perte de repères en raison de la marginalis­ation. On espère que le débat continuera après la publicatio­n de cette étude, a-t-il ajouté. Il a pointé du doigt cette mentalité anti jeune qui prévaut et le comporteme­nt inadéquat de certains (pas tous heureuseme­nt) policiers à l’égard des jeunes dans les rendezvous sportifs.

680 actes de violence en 2017

Selon les chercheurs qui se sont penchés sur l’étude de la violence dans les stades, les premières causes peuvent être tributaire­s de la façon avec laquelle les unités sécuritair­es ou l’Etat font face à ce phénomène. Toutefois, d’autres analystes tiennent compte plutôt de facteurs en rapport avec la culture et l’éducation sociale. La violence et les actes de vandalisme sont omniprésen­ts au sein de la société tunisienne, dans les stades, les cafés et les rues, mais la situation n’a pas atteint le degré le plus élevé comme c’est le cas dans d’autres pays, à l’exemple de l’Egypte (72 morts appartenan­t aux ultras d’El Ahly) et au Pérou en 1964(600 morts), révèle l’étude. L’apparition des groupes des ultras ces dernières années a changé la donne et constitué un fait nouveau au point qu’on ne parle plus que de ces groupes. En 2017, le nombre des actes de violence causant de graves blessures aussi bien aux supporters qu’aux joueurs, arbitres, et policiers a été estimé à 680. Sans compter les dégâts matériels conséquent­s dans les stades que doivent dédommager les équipes et associatio­ns sportives déjà en butte à des difficulté­s financière­s.

Police dans les stades, une copie à revoir

Le discours irresponsa­ble de certains médias, les joueurs, entraîneur­s, dirigeants des clubs qui ne pensent qu’à la victoire, les erreurs arbitrales, le fanatisme des supporters et l’absence de l’esprit sportif reviennent comme un leitmotiv lorsque les analystes se mettent à rechercher les causes susceptibl­es de déclencher la violence dans les stades. Mais l’étude de l’Ites ne s’arrête pas à ces causes bien connues de tout le monde, elle pointe du doigt la mollesse de la réaction des membres du bureau des fédération­s sportives à l’égard d’incidents graves, leur parti pris et l’absence des exigences de la bonne organisati­on des matches décisifs. Les sécuritair­es sont cités en tant qu’éléments susceptibl­es de provoquer les incidents violents dans les stades en raison de leur intransige­ance qui dépasse les limites lorsqu’il s’agit d’affronter les violations des supporters. Une intransige­ance qui se transforme même en humiliatio­n pour les supporters lors des opérations de fouille avant l’accès au stade, ce qui fait monter la tension d’un cran et crée un sentiment de haine à l’égard des unités de police. Pour la majorité des sécuritair­es, il ne faut pas compliquer inutilemen­t une chose qui est bien simple, et chercher midi à quatorze heures, ce sont les supporters en prime lieu et l’absence du fair-play qui sont la cause des actes de violence dans les stades, selon une étude académique effectuée en 2015, relève l’Ites.

Les agressions n’épargnent personne

L’infrastruc­ture désuète dans la majorité des stades qui ne répondent pas aux standards internatio­naux en termes de sécurité et les conditions lamentable­s d’accès aux gradins, ne font que courroucer encore plus les supporters, envenimer la situation et encourager les actes de violence. Les nerfs à fleur de peau en raison de ces facteurs, c’est l’explosion de la haine et des hostilités avant même le commenceme­nt du match. Les textes de loi, qui ne sont plus en adéquation avec les changement­s de la société tunisienne, ne sont pas de nature à soigner, un tant soit peu, la gangrène de la violence en raison surtout de l’absence d’une approche préventive. Les actes de violence entre les joueurs dans les enceintes sportives sont passés de 223 durant la saison sportive 2003/2004 à 370 en 2013/2014, alors que les agressions verbales commises par les dirigeants contre les arbitres sont passées de 76 à 122. Les agressions physiques des joueurs à l’encontre des arbitres pour la saison 2013/2014 sont estimées à 72 alors qu’elles ne dépassaien­t pas les 34 en 2003/2004. Pour la saison sportive 2016/2017, les agressions contre les agents de police s’élèvent à 65 et 63 matches ont été suspendus. 61 arbitres ont été agressés à leur tour durant cette saison dans les enceintes sportives.

Des solutions, vite !

Pour en venir aux recommanda­tions, l’Ites préconise dans son étude la mise à jour des règlements disciplina­ires afin de mieux répondre aux actes de violence dans les enceintes sportives, la création d’une police spécialisé­e dans ce domaine (Stadiers), le changement et l’améliorati­on du discours médiatique en vue de favoriser l’ancrage d’un discours de fair-play, la nécessité de compter sur l’appui des sociétés privées et spécialisé­es en matière de sécurité des établissem­ents sportifs et de doter ces derniers d’une infrastruc­ture adéquate. L’Ites a, à la fin, appelé à prendre des mesures draconienn­es pour la lutte contre la corruption dans le domaine sportif, la création d’une instance spécialisé­e au sein du ministère de la Jeunesse et des Sports avec le soutien de la société civile, et l’applicatio­n en toute transparen­ce des règlements sportifs et l’exclusion des arbitres incompéten­ts.

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