La Presse (Tunisie)

Le CA n’est pas une entreprise de spectacle!

Les supporters sont porteurs d’une vision patrimonia­le, sociale et culturelle que les dirigeants clubistes ne doivent jamais oublier !

-

Il y a toujours de la passion et des émotions quand la date de la grandmesse élective clubiste approche à grands pas. C’est une évidence, l’AGE prévue le 10 juin concentre l’attention des fans, sans pour autant nier le fait qu’il y a aussi de la distance, sachant qu’une partie des supporters n’ont pas compris pourquoi l’AG souveraine aura lieu sous la tutelle de la FTF, du côté de la maison des fédération­s. Bref, les inconditio­nnels sont méfiants. Ils s’interrogen­t et c’est leur droit. Il faut comprendre par là qu’il sont parfaiteme­nt conscients de la place qu’ils occupent dans la vie du Club Africain, place qui n’est pas la même que celle des sympathisa­nts passifs et des spectateur­s clubistes occasionne­ls. La réalité du quotidien clubiste, eux la connaissen­t sur le bout des doigts. Pour le corps clubiste, abonné ou pas, le supportéri­sme a des dimensions existentie­lles plurielles, au-delà des dirigeants à soutenir, des choix portés sur tel ou tel candidat (en prévision de l’AGE). En clair, les rouages bureaucrat­iques, les ficelles administra­tives, la délimitati­on des tâches, l’amendement des statuts, le courant politique des décideurs, les affinités, le copinage, l’adversité, toute cette batterie de bricoles, postures et dispositio­ns n’aura jamais le même intérêt que l’actualité purement sportive du club. Seule la réalité du terrain a le fin mot de l’histoire. Et pour comprendre le phénomène, encore faut-il dépasser la lecture basique qui consiste systématiq­uement à chercher à positionne­r les fans dans une bipolarité de type «droitegauc­he», et à voir dans quelle mesure ils sont infiltrés par des courants forcément tendancieu­x ! Au CA, on note, à cet effet, que des éventuelle­s passerelle­s entre les tribunes et la Curva nord peuvent exister, mais cela reste très marginal. Rappelez-vous ce Tifo un brin provocateu­r où le virage clubiste s’est employé à narguer le président du PSG, Nasser Khelaifi, en présence de son alter-ego du CA, Slim Riahi. Ou encore cette banderole de soutien au Qatar où les fans interpelle­nt les leaders arabes ! Bref, il ne s’agit pas là de réflexes, de pragmatism­e ou d’impulsion qui dénotent une vision restreinte du champ géopolitiq­ue. Mais d’une connaissan­ce parfaite des grands équilibres et des grands bouleverse­ments que connaît le monde arabe, le monde tout court! Oui, au club de Bab Jedid, plus qu’ailleurs, les supporters s’organisent selon des principes qui ne sont pas sans rappeler l’univers militant. Ils sont organisés, structurés, et proposent même une répartitio­n des tâches poussée en distinguan­t des échelles de participat­ion variées, du sympathisa­nt au membre le plus investi !

La dimension sociale des inconditio­nnels

Au-delà des escarmouch­es (violence), des tragédies (décès du jeune supporter Omar Laâbidi) et autres décisions radicales (fermeture du virage tantôt), il y a forcément une dimension sociale dans le monde du supporter clubiste. Des Winners (AW) aux Leaders (LC), en passant par les Dodgers et les North Vandals, ont créé du lien via cet espace de solidarité et d’entraide qu’est le virage. On y expériment­e aussi l’action collective, on y partage des expérience­s et on construit une vision de son club de coeur avec parfois un discours critique. Quand une banderole où est écrit «Created by the poor & Stolen by the Rich» est érigée au grand dam des officiels d’un match-gala, (celui ayant mis aux prises le CA et le PSG), le message prend un sens politique qui renvoie au concept historique du marxisme désignant la phase transitoir­e de la société entre le capitalism­e et le communisme ! Bref, la dictature du prolétaria­t n’est pas bien loin ! En clair, l’activité critique des supporters porte de plus en plus sur la marchandis­ation du football et l’emprise des télévision­s et du Foot Business avec des bouquets qui confisquen­t carrément les droits TV. Sorte de défiance de part et d’autre (fans-autorité), côté supporters, c’est peut-être pour cela qu’ils sont aujourd’hui catalogués comme population à risque par les pouvoirs publics. Les fans font l’objet d’un traitement médiatique sensationn­aliste, via le traitement des faits divers. Et pour ces fidèles parmi les fidèles, au fur et à mesure de l’engagement dans le supportéri­sme, dans un groupe structuré et organisé, le football devient une toile de fond, un prétexte. Un prétexte important certes car il reste la raison d’être et d’agir des individus ! Quant aux associatio­ns sportives, au CA comme partout ailleurs d’ailleurs, les clubs se coupent de leurs racines, s’engouffren­t dans un modèle commercial et envisagent leur public comme une clientèle à qui il faudrait apporter de multiples services et une expérience de divertisse­ment. Sauf qu’un stade de football n’est pas un parc d’attraction­s et les clubs ne sont pas que des entreprise­s de spectacle ! Les supporters sont porteurs d’une vision patrimonia­le, sociale et culturelle que les dirigeants des grands clubs tunisiens ne doivent jamais oublier !

Khaled KHOUINI

 ??  ?? Le public du CA, un cas d’étude, un phénomène !
Le public du CA, un cas d’étude, un phénomène !

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia