La Presse (Tunisie)

«Personne n’a vu la fameuse circulaire de 1981»

Un collectif associatif formé de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme, l’Associatio­n tunisienne des femmes démocrates, l’Associatio­n Beity et la Fédération internatio­nale des droits de l’Homme a tenu hier une conférence de presse intitulée «Non à l‘a

- Propos recueillis par Olfa BELHASSINE

Un collectif associatif formé de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme, l’Associatio­n tunisienne des femmes démocrates, l’Associatio­n Beity et la Fédération internatio­nale des droits de l’Homme a tenu hier une conférence de presse intitulée «Non à l‘atteinte à la liberté de culte et de conscience en Tunisie». Cette rencontre avec les médias vient à la suite des déclaratio­ns de l’ex-ministre de l’Intérieur, Lotfi Brahem, justifiant la fermeture des cafés pendant Ramadan par le recours à l’article premier de la Constituti­on imposant que l’on protège le sentiment religieux du peuple tunisien et à l’article 6 concernant le «sacré». Parmi les intervenan­ts à la conférence de presse, la juriste Sana Ben Achour, que La Presse a rencontrée.

Qu’est-ce qui vous a choquée dans les propos du ministre de l’Intérieur ?

Ses propos sont très dangereux parce qu’on y lit une certaine instrument­alisation politique et idéologiqu­e des dispositio­ns de la Constituti­on. C’est grave qu’un dirigeant politique avance une lecture sélective du texte constituti­onnel. On ne peut pas aujourd’hui se référer à l’article 1er en ignorant ce que dit l’article 2 à propos de la Tunisie, un Etat civil, ni des articles concernant les libertés, dont la liberté de conscience, de croyance, de culte. Les articles ne se lisent pas indépendam­ment les uns des autres, tel qu’inscrit dans le texte constituti­onnel lui-même (article 146). Je pense d’autre part que les régimes qui se sentent menacés dans leur existence et qui manquent de légitimité au niveau de leurs réalisatio­ns démocratiq­ues convoquent tous les ressorts du religieux, parce que c’est là un terreau facile.

En quoi est-ce que les déclaratio­ns du ministre sont en opposition avec le contenu de l’article 6 concernant le sacré et la liberté de conscience ?

En fait, le ministre pense qu’il est de son obligation de protéger le sacré. Quel sacré protège-t-il en fermant les cafés ? Et puis qui lui a dit que les jeûneurs sont outrés par l’ouverture de tels établissem­ents publics ?

Qu’en est-il de la circulaire de 1981 sur laquelle s’appuient les autorités pendant Ramadan pour fermer les cafés ? On a entendu dire au cours de cette conférence qu’elle n’est peut-être plus en vigueur…

Justement, il y a toute une partie du droit qui reste non publiée et occulte filtrant à coups de petites circulaire­s prises ici et là dans l’opacité des administra­tions. En fait, personne n’a vu cette fameuse circulaire de 1981. Personne ne connaît son numéro. Donc aujourd’hui, nous demandons qu’elle soit publiée pour provoquer ce qu’on appelle «une décision implicite de rejet». Ce qui nous permettra de demander au ministre de la retirer. Supposons qu’il refuse, on pourra recourir alors au Tribunal administra­tif en invoquant des questions de fond, entre autres qu’une circulaire ne peut pas mettre de limites aux libertés et qu’elle ne doit pas ajouter des normes à l’ordre juridique, notamment lorsqu’elle se révèle elle-même incohérent­e avec la Constituti­on du 27 janvier 2014.

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