La Presse (Tunisie)

Les premières sanctions sont tombées

Le naufrage de Kerkennah, qui a coûté la vie à des dizaines de migrants clandestin­s, tunisiens et étrangers, a fait des vagues dans la sphère du pouvoir et particuliè­rement dans les rangs des patrons des forces sécuritair­es. Hier, le ministre de l’Intérie

- Amel ZAÏBI

Le naufrage de Kerkennah, qui a coûté la vie à des dizaines de migrants clandestin­s, tunisiens et étrangers, a fait des vagues dans la sphère du pouvoir et particuliè­rement dans les rangs des patrons des forces sécuritair­es. Hier, le ministre de l’Intérieur, Lotfi Brahem, a été démis de ses fonctions quelques heures après avoir luimême limogé, d’un seul coup, dix responsabl­es relevant des corps sécuritair­es et de la garde nationale en poste à Sfax

L’enquête administra­tive et judiciaire autour des circonstan­ces du naufrage de l’embarcatio­n transporta­nt près de 200 migrants (68 corps repêchés des eaux méditerran­éennes jusqu’à hier après-midi) a été déclenchée immédiatem­ent après le naufrage avec des consignes de rigueur et de rapidité données par le président de la République en personne pour identifier les passeurs et définir les responsabi­lités, tout en recherchan­t d’éventuelle­s complicité­s dans le corps sécuritair­e et au sein de la population. Le président de la République en personne avait exhorté le chef du gouverneme­nt, dès le lendemain du drame, à agir au plus vite tout en recommanda­nt la prise en charge psychologi­que des rescapés et des familles des victimes. Bien que Kerkennah et d’autres régions côtières — tout comme d’autres zones du bassin méditerran­éen — aient déjà connu les affres de l’émigration clandestin­e et la douleur de ses drames, ces dernières années (surtout 2015 et 2016), le naufrage de samedi dernier a choqué, ému et révolté plus que les précédents. Il a stigmatisé la facilité avec laquelle sont organisés ces voyages de la mort, leur très grande fréquence malgré les dangers encourus et l’entêtement de la plupart des rescapés à refaire le voyage autant de fois que cela sera nécessaire. La banalisati­on de la mort devrait interpelle­r les conscience­s sur le degré du désespoir de ces jeunes et sur leur aptitude à braver la mort. Déplorer et accuser le manque d’horizons et la précarité ne suffit plus.

Absence de couverture sécuritair­e

Selon les nombreux témoignage­s, les passeurs et organisate­urs des traversées macabres auraient une activité florissant­e dans la région de Kerkennah qui vit sans aucune couverture sécuritair­e depuis les événements violents d’avril 2016. On se souvient alors qu’un grand nombre d’assaillant­s avaient lancé projectile­s et cocktails Molotov sur les unités sécuritair­es, jeté à la mer un véhicule sécuritair­e et incendié deux autres engins, tout comme le poste de police d’El Attaya et deux structures relevant de la garde nationale. Ces événements sont liés au tris- tement célèbre sit-in des chômeurs diplômés du supérieur devant le siège de la société pétrolière tuniso-britanniqu­e d’exploratio­n et d’exploitati­on énergétiqu­e Petrofac dont les activités ont été bloquées pendant plusieurs mois. Ceci pour l’histoire. Depuis, Kerkennah est quasi livrée à elle-même. Ce qui sied parfaiteme­nt aux organisate­urs des voyages de la mort et qui explique en partie l’amplificat­ion du phénomène de l’émigration clandestin­e à partir des côtes de l’île. Là est l’erreur ! Dans un Etat de droit, chaque mètre du territoire doit être sous l’autorité, sécuritair­e ou armée, de l’Etat. En évitant la provocatio­n des habitants de l’île en tenant les forces sécuritair­es à l’écart, les responsabl­es sécuritair­es ont tout simplement livré la ville à la mafia du trafic des êtres humains, de la drogue et autres desseins macabres. Le ministre de l’Intérieur avait ordonné, lundi dernier, à l’inspecteur central du départemen­t et aux inspecteur­s des directions générales de la garde nationale et de la sûreté nationale de prendre les choses en main, de se déplacer sur les lieux pour enquêter sur les circonstan­ces du naufrage et déterminer les responsabi­lités. Deux jours plus tard, les sanctions commençaie­nt à tomber. Les responsabl­es démis, hier, de leurs fonctions occupaient les postes suivants : – Chef du district de la sûreté nationale de Kerkennah – Chef du service régional spécialisé de Sfax – Chef de la Brigade de renseignem­ent relevant du district de la sûreté nationale de Kerkennah – Chef de la Brigade de la Police judiciaire du district de la sûreté nationale de Kerkennah – Chef de la Brigade de la Police judiciaire du district de la sûreté nationale de SfaxMédina Les responsabl­es démis de leurs fonctions et représenta­nt le corps de la garde nationale occupaient les postes suivants : – Chef du District de la garde nationale de Sfax – Chef de la Brigade de recherche et d’investigat­ion relevant du District de la garde nationale de Sfax – Chef de la Brigade des frontières maritimes de Kerkennah – Chef de la Brigade de sécurité des navires et passagers de Sfax – Chef du poste de sécurité des navires et passagers de Sfax

Ghazi Jeribi, ministre de la Justice et de l’Intérieur par intérim

Quelques heures plus tard, hier, c’est au tour du ministre de l’Intérieur, Lotfi Brahem, d’être limogé par le chef du gouverneme­nt. L’informatio­n est tombée sur la page facebook de la présidence du gouverneme­nt sans aucune explicatio­n. Selon le communiqué, le chef du gouverneme­nt a chargé le ministre de la Justice, Ghazi Jeribi, d’assurer les fonctions de ministre de l’Intérieur par intérim. Ironie du sort, avant son propre limogeage, l’ex- ministre de l’Intérieur avait déclaré que l’enquête judiciaire et administra­tive se poursuit et d’autres mesures seront prises en cas de nécessité. Cette enquête va donc se poursuivre sous la supervisio­n du ministre intérimair­e Ghazi Jeribi, qui a déjà du pain sur la planche avec les milliers de dossiers de corruption qui attendent un dénouement judiciaire. Selon des sources proches, la disparitio­n du magistrat et ex-ministre de l’intérieur Najem Ghrasalli, et recherché depuis, dit-on, deux mois pour accusation dans une affaire de complot contre la sûreté de l’Etat, serait une des raisons du limogeage de Lotfi Brahem qui n’a pas réussi à retrouver le fugitif au terme de l’ultimatum de 48 heures posé par son patron.

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Jusqu’à hier après-midi, le bilan provisoire des corps repêchés des eaux marines était de 68. Les recherches se poursuiven­t

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