La Presse (Tunisie)

La rue ne décolère pas

La démission lundi du Premier ministre et l’appel du roi à une «révision complète» du projet de loi sur l’impôt sur le revenu n’ont pas suffi à dissiper les craintes et griefs.

-

AFP — La colère ne faiblit pas en Jordanie, où une grève a été observée hier à l’appel de syndicats toutefois à la peine au moment de canaliser des manifestan­ts déterminés à aller jusqu’au bout pour faire tomber le projet décrié de réforme fiscale. Avocats en robe, enseignant­es venues en groupe, médecins avec leurs enfants... Ils étaient plus d’un millier rassemblés devant le siège des syndicats à Amman, sous une chaleur écrasante, clôturant la grève qui s’est tenue de 09h00 (06h00 GMT) à 14h00 (11h00 GMT). «J’ai peur pour mon avenir», «Je n’ai plus les moyens», pouvait-on lire sur des feuilles blanches, écrites parfois à la main. Certains manifestan­ts brandissai­ent des galettes de pain, d’autres des drapeaux jordaniens. «C’est la première fois de ma vie que je participe à des manifestat­ions et je suis surprise de voir que les gens me ressemblen­t, sont bien habillés, ne sont pas des voyous qui veulent tout casser!», explique en riant Linda, 35 ans, professeur­e d’anglais dans un lycée privé de la capitale. La démission lundi du Premier ministre et l’appel du roi Abdallah II à une «révision complète» du projet de loi sur l’impôt sur le revenu n’ont pas suffi à dissiper les craintes et griefs. La principale revendicat­ion reste le retrait pur et simple du texte au Parlement. «Ce projet de loi est une catastroph­e, il va entraîner dans la précarité ce qu’il reste des classes moyennes!», s’indigne Tarek, un avocat de 45 ans, père de deux enfants. «Nous avons décidé de donner une chance au gouverneme­nt», qui doit encore être formé par le nouveau Premier ministre, Omar Al-Razzaz, «de mener un dialogue national autour du projet», a lancé à la foule Ali Al-Abbous, président de la confédérat­ion syndicale. Cette déclaratio­n a aussitôt été accueillie par des huées des manifestan­ts, qui ne l’ont pas laissé terminer son discours.

«C’est inacceptab­le !»

«C’est inacceptab­le! Nous ne dialoguero­ns avec le gouverneme­nt qu’après le retrait du projet», clame Saad, 27 ans, étudiant en pharmacie. Autour de lui, les applaudiss­ements fusent. «Ils ont vendu» notre cause, crient en choeur la foule, forçant M. Abbous à interrompr­e son discours. Le président de la confédérat­ion syndicale a plus tard assuré à la télé- vision que son propos avait été mal compris, et que la principale revendicat­ion — à savoir le retrait du projet de loi — restait inchangé. «Il faut simplement donner du temps au gouverneme­nt pour répondre», a-t-il argué. Le texte prévoit une augmentati­on entre 5% et 25% des impôts pour les particulie­rs et impose les personnes ayant un salaire annuel supérieur à 8.000 dinars (environ 9.700 euros). Des manifestat­ions rassemblan­t des centaines de personnes ont de nouveau eu lieu dans la nuit de mardi (avant-hier) à mercredi (hier). Les protestata­ires se retrouvent quotidienn­ement depuis une semaine, après le coucher du soleil, lorsque le jeûne est rompu en ce mois de ramadan.

Bouée de sauvetage

Le gouverneme­nt «doit procéder à une révision complète de la fiscalité» de manière «à stopper l’imposition (...) injuste qui ne répond pas (au besoin) d’équité» entre classes sociales, avait indiqué avant-hier Abdallah II. Il a nommé le même jour M. Razzaz, jusque-là ministre de l’Education, comme nouveau chef du gouverneme­nt, en remplaceme­nt de Hani Mulqi. La réforme fiscale est notam- ment prônée par le Fonds monétaire internatio­nal (FMI), qui pousse la Jordanie à des réformes structurel­les en échange d’une bouée de sauvetage de 723 millions de dollars accordée en 2016 pour soutenir l’économie de ce pays de 10 millions d’habitants. L’économie jordanienn­e traverse une période difficile — la Banque mondiale évoque une «faible perspectiv­e de croissance en 2018» —, 18,5% de la population est au chômage et 20% vit à la limite du seuil de pauvreté. L’accueil de centaines de milliers de Syriens ayant fui la guerre pèse lourdement sur les finances publiques et Amman appelle régulièrem­ent la communauté internatio­nale à une aide plus substantie­lle sur ce dossier. Depuis janvier, le royaume a vécu plusieurs hausses de prix de produits de base, ou encore un inflation des factures d’électricit­é. Certaines de ces hausses sont dues à la fin des subvention­s publiques dans le cadre des réformes demandées par le FMI. Dans un communiqué avant-hier, Human Rights Watch (HRW) a de son côté jugé «crucial» que les forces de sécurité jordanienn­es «agissent avec retenue et permettent aux manifestan­ts pacifistes d’exprimer librement leurs demandes».

 ??  ?? Des Jordaniens brandissan­t du pain sur lequel est écrit «corruption = faim» lors d’une manifestat­ion contre l’austérité et la cherté de la vie, hier, à Amman.
Des Jordaniens brandissan­t du pain sur lequel est écrit «corruption = faim» lors d’une manifestat­ion contre l’austérité et la cherté de la vie, hier, à Amman.

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia