La Presse (Tunisie)

Macron prône l’innovation politique

La visite de Benjamin Netanyahu à Paris a suscité remous et protestati­ons. Elle a été aussi l’occasion de messages dont les observateu­rs n’ont pas manqué de relever le caractère nouveau...

- Par Raouf SEDDIK R.S.

Officielle­ment, le Premier ministre israélien était à Paris mardi dernier 5 juin dans le cadre d’une tournée européenne qu’il effectuait en vue de convaincre les gouverneme­nts européens de ne pas accorder à l’accord nucléaire avec l’Iran plus d’importance qu’il n’en a eu auprès du président américain. Lequel s’en est désengagé récemment en rétablissa­nt les sanctions américaine­s contre les entreprise­s qui continuera­ient à traiter avec l’Iran. Dans une conférence de presse, Benjamin Netanyahu a plaidé sa cause en expliquant que l’embellie économique dont a bénéficié l’Iran depuis la signature de cet accord en 2015 a été entièremen­t mise au service d’une politique de pénétratio­n dans la région du Moyen-Orient... Il a parlé de «mensonges» iraniens à l’Agence internatio­nale de l’énergie atomique au sujet des programmes d’enrichisse­ment à l’uranium et a souligné le danger qu’il y aurait pour toute la région si le régime «théocratiq­ue» de Téhéran se transforma­it en puissance nucléaire. Ce à quoi le président français a répondu que l’accord iranien n’était certes pas parfait, qu’il laissait des interrogat­ions au sujet de l’après-2025, qu’il méritait aussi d’être «complété» par ailleurs sur deux volets, à savoir l’activité balistique et la politique de voisinage (dont Macron estime, avec le Premier ministre israélien, qu’elle n’est pas dénuée de visées expansionn­istes remettant en question la souveraine­té de certains pays, comme la Syrie et le Liban, et représenta­nt une menace à la sécurité d’autres, comme Israël), mais que cet accord valait beaucoup mieux que pas d’accord du tout. Il a réagi à l’informatio­n selon laquelle l’Iran venait de reprendre ses activités d’enrichisse­ment de l’uranium en faisant remarquer qu’à sa connaissan­ce, cette reprise ne constituai­t pas un cas d’infraction à l’accord, mais que cela illustrait quand même les risques d’une politique de désengagem­ent par rapport à l’accord, telle que pratiquée par Donald Trump et prônée par Benjamin Netanyahu. D’aucuns parleront à propos de cette divergence assumée entre les deux hommes d’une sorte de répartitio­n des rôles afin de faire évoluer l’accord en question. C’est possible. C’est même probable. Toutefois, il faut aussi accorder son attention à ce qui s’est dit à propos du dossier palestino-israélien. Le fait qu’il ne figurait pas en tête du menu de la rencontre ne veut pas dire que rien d’essentiel n’en a été dit. Mais cela, c’est surtout lors de la deuxième partie de la rencontre que nous y avons eu droit, à l’occasion de l’inaugurati­on d’une exposition au Grand Palais placée sous le signe de la coopératio­n franco-israélienn­e dans le domaine scientifiq­ue et technologi­que. Donc de l’innovation ! Avec les derniers événements de Gaza, le bilan des civils morts sous les balles israélienn­es, ou seulement blessés, tout le monde attendait de voir comment le président français allait réussir, ou pas, à ménager la chèvre et le chou : la colère chauffée à blanc des intellectu­els et de la rue dans les pays de culture arabomusul­mane d’un côté et, de l’autre, l’amitié franco-israélienn­e qui s’affichait non seulement à travers la réception du Premier ministre israélien, mais aussi à travers l’organisati­on d’une manifestat­ion à la gloire de la coopératio­n entre la France et Israël. Il appartient à chacun de se faire son opinion, mais il est utile aussi de noter ce qui se profile dans le discours du président français à travers cet exercice particulie­r. Face aux organisate­urs de l’exposition et à une assistance où se mêlaient aux diplomates des intellectu­els et des hommes de culture, Emmanuel Macron s’est livré dans les murs du Grand Palais à un exercice oratoire où il a été beaucoup question d’innovation : innovation scientifiq­ue et technologi­que, innovation culturelle et intellectu­elle mais aussi et surtout innovation politique... Après avoir évoqué l’héritage commun autour de «valeurs universell­es», celleslà mêmes au nom desquelles des combats communs ont été menés, aussi bien contre l’antisémiti­sme que pour le respect de l’autre, il s’est adressé à son hôte en ces termes : «Monsieur le Premier ministre, ce que nous avons à faire ensemble, c’est d’être à la hauteur d’un passé qui nous oblige...» Et, dès lors, le discours a pris une tournure éminemment politique que les diplomates présents dans la salle ont dû écouter de façon très attentive. «Notre défi, a-t-il poursuivi, n’est pas de répliquer les erreurs du passé, de nous enfermer dans les désaccords du monde contempora­in ou dans une grammaire qui parfois nous bouscule, dans une brutalité qui peut séduire certains ou faire perdre le sens de notre histoire et de nos intérêts à quelques autres… Non, nous devons là encore innover !» Le propos n’était pas seulement allusif, comme il est d’usage en pareilles circonstan­ce quand ce thème est abordé dans les capitales occidental­es. Le président français est revenu à la charge : «Inventer l’avenir se fera en n’oubliant rien de notre passé mais en ne cherchant pas à le reproduire, en ne s’enfermant pas dans ses plis, dans ses haines, dans ses désaccords, et en considéran­t que ce futur que nous inventons sur le plan technologi­que et scientifiq­ue, nous avons aussi à l’inventer sur le plan humain…» Et encore : «L’innovation politique dont nous avons besoin, et pour laquelle nos pays auront un rôle essentiel, elle est la seule compatible avec l’universali­sme qui nous a nourris et conduits jusqu’ici !» Notons par ailleurs que, lors de la conférence de presse, Emmanuel Macron avait également fait une annonce qui mérite attention : celle du souhait de la France de s’engager davantage dans le règlement de la «crise humanitair­e aiguë» à Gaza. Le chef de l’Etat français a expliqué qu’une concertati­on était engagée avec la Jordanie, mais que la volonté était de l’étendre à d’autres partenaire­s de la région. Et d’impliquer aussi d’autres pays européens. C’est, a expliqué Macron, une «réponse humanitair­e mais, a-t-il ajouté à l’adresse du Premier ministre israélien, quelque chose « d’utile » à la sécurité et à la stabilité d’Israël... Dont acte !

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