La Presse (Tunisie)

Les milliards d’aides sont loin d’être une «solution miracle»

Il y a des « craintes d’un renverseme­nt d’alliances dans la région », selon le directeur du centre Al-Qods pour les relations stratégiqu­es à Amman

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AFP — La Jordanie, secouée par un mouvement de contestati­on populaire, a obtenu en urgence un nouveau soutien financier conséquent de pays du Golfe, mais ces milliards ne constituen­t pas une «solution miracle» face aux défis du royaume, estiment des analystes. «Ce qui s’est passé en Jordanie a fait ressurgir l’esprit du Printemps arabe, provoquant un vent de panique parmi les pays du Golfe», affirme à l’AFP Oraib Al-Rintawi, directeur du Centre Al-Qods pour les relations stratégiqu­es à Amman. Durant la première semaine de juin, des milliers de Jordaniens excédés par la dégradatio­n de leurs conditions de vie ont battu le pavé une fois la nuit tombée, entraînant la démission du Premier ministre et le retrait d’un projet de loi fiscale controvers­é. «La stabilité de la Jordanie est fondamenta­le pour la sécurité de la région, du Golfe et de l’Arabie saoudite qui craint un effet domino entre monarchies», explique M. Rintawi. Mais selon lui, la vitesse de réaction de Riyad, Abu Dhabi et Koweït dans l’octroi d’une enveloppe de 2,5 milliards de dollars reflète également «les craintes d’un renverseme­nt d’alliances dans la région» après des rapprochem­ents récents de Amman avec le Qatar, émirat boycotté par l’Arabie saoudite. Mais c’est surtout une rare poignée de main entre le roi Abdallah II de Jordanie et le président iranien Hassan Rohani — dont le pays est le grand rival régional de Riyad — lors du sommet de l’Organisati­on de la coopératio­n islamique en mai à Istanbul qui a marqué les esprits.

«Enclume et marteau»

La Jordanie a aussi montré des signes de distanciat­ion par rapport aux positions américano-saou- diennes sur le dossier de Jérusalem, reconnue unilatéral­ement en décembre capitale d’Israël par Washington. Les Palestinie­ns veulent faire de Jérusalem-Est, considérée par la communauté internatio­nale comme un territoire occupé, la capitale de l’Etat auquel ils aspirent. Le royaume hachémite, gardien des lieux saints de Jérusalem et dont plus de la moitié de la population est d’origine palestinie­nne, «se trouve dans une position extrêmemen­t inconforta­ble et il lui est impossible de suivre» ses alliés américain et saoudien sur ce dossier, souligne à l’AFP Karim Bitar, directeur de recherches à l’Institut de relations internatio­nales et stratégiqu­es à Paris. «Comme souvent, la Jordanie se retrouve coincée entre l’enclume et le marteau», dit-il. Préoccupé par le souci de «préserver un allié stratégiqu­e dans la région», frontalier d’Israël, des Territoire­s palestinie­ns, de la Syrie et de l’Irak notamment, Washington a «sûrement donné son feu vert» au soutien financier des pays du Golfe, souligne M. Rintawi. Avant-hier, l’Union européenne, avait elle, annoncé une nouvelle aide de 20 millions d’euros à Amman, pour des projets en faveur des «plus vulnérable­s». Dépourvue de ressources naturelles et très dépendante d’aides étrangères, la Jordanie traverse une période difficile — la Banque mondiale évoque une «faible perspectiv­e de croissance en 2018» —, 18,5% de la population est au chômage et 20% vit à la limite du seuil de pauvreté. Le roi a semblé d’abord bien en peine d’apaiser la colère populaire, allant jusqu’à mettre en garde contre un saut «dans l’inconnu».

«Equilibris­te»

«En montrant à ses alliés que la Jordanie est sur le point de glisser vers un avenir sombre», le royaume a finalement «récolté les fruits de la grogne sociale», avec l’aide financière du Golfe, selon l’analyste jordanien Adel Mahmoud. Pourtant, ces milliards ne constituen­t pas une «solution magique» à tous les problèmes de la Jordanie qui a surtout besoin d’un «nouveau contrat social», indique M. Rintawi. «L’économie ne peut pas demeurer otage des aides internatio­nales, qui ont diminué ces dernières années. Compter sur les aides est un pari à court terme» perdu d’avance, estime-t-il. D’après lui, «il est temps que la Jordanie apprenne à compter sur elle-même, mette en place de nouvelles politiques économique­s basées sur la lutte contre la corruption aux niveaux les plus élevés de l’Etat, et réduise les dépenses publiques» au lieu de se concentrer sur l’augmentati­on des impôts. Car le royaume avait déjà bénéficié en 2011 d’une aide de 5 milliards de dollars des pays du Golfe «qui n’a pas réussi à sauver son économie», ajoute M. Rintawi. Il n’est pas sûr que le nouveau Premier ministre Omar Al-Razzaz, un intellectu­el respecté, puisse relever tous les défis rapidement «car l’économie souffre de faiblesses structurel­les», estime M. Bitar. Même si sa marge de manoeuvre s’est affaiblie, relève le chercheur, le roi a encore de la ressource car la stabilité de la monarchie demeure importante pour beaucoup d’acteurs régionaux et internatio­naux. Et d’ajouter : «Donc à moins d’une dégradatio­n encore plus marquée de la situation économique et d’une montée des tensions régionales, on peut supputer que ce pays sortira de cette crise comme il l’a fait dans le passé, en adoptant une position d’équilibris­te».

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