Une solution ou un problème ?
Depuis 5 jours le Conseil d’administration de la BCT a décidé de hausser de nouveau le taux directeur de la BCT mais cette fois de 100 points de base en un seul coup. Cette hausse d’ampleur remarquable succède à une série d’augmentations, notamment celle de mai 2017 de 25 points de base et celle de mars dernier de 75 points de base. Nous qualifions cette dernière hausse d’exceptionnelle car depuis 2000, nous n’avons jamais enregistré une révision d’une telle ampleur. L’explication avancée par la BCT dans son communiqué du 13 juin 2018 repose sur la volonté d’éviter la menace inflationniste qui semble s’installer à un voisinage de 8% pour l’année en cours. En conséquence, les taux d’intérêt réels négatifs (taux d’intérêt nominal – taux d’inflation) seraient de ce point de vue à l’origine de la chute du taux d’épargne qui est maintenant à 10% du PIB alors qu’il était de 20% en 2010. Le glissement du cours du dinar face aux principales devises qui est de l’ordre de 5.1% par rapport au dollar et de 11.6% par rapport à l’euro entre juin 2017 et juin 2018 est également un problème à contrecarrer compte tenu de l’inflation importée. La question que l’on se pose et qui intrigue tous les Tunisiens est de dire si ces révisions du taux directeur de la BCT sont justifiables et répondront aux vrais besoins de l’économie tunisienne. Autrement dit apporteront–elles une solution ? La théorie économique dans un contexte d’économie menacée par une tension inflationniste envisage justement l’application d’une politique monétaire restrictive. Parmi les outils d’une telle politique, hausser le taux d’intérêt, entre autres le taux directeur de la BCT, que l’on peut qualifier du prix de gros pour les crédits. Mais à côté de cela, il faudrait appliquer des restrictions sur les crédits et fixer des taux de réserves obligatoires assez élevés. Aujourd’hui la BCT ne respecte pas les règles de conduite d’une politique monétaire restrictive. En effet, simultanément à des hausses remarquables du taux directeur, elle accorde des lignes de refinancement au profit des banques commerciales qui se sont renforcées récemment par une ligne nouvelle de facilité à maturité de six mois dédiée aux créations de projets. D’autant plus que les taux de réserves obligatoires sont quasiment nuls. Pourquoi alors ces paradoxes ? En effet, c’est parce que les maux de l’économie sont essentiellement dans la sphère réelle et dans les problèmes de gouvernance et non dans la sphère monétaire malgré le manque de développement financier du pays. Les pressions inflationnistes actuellement vécues en Tunisie ne sont pas totalement d’origine monétaire pour les combattre par des taux directeurs astronomiquement élevés. Nous voyons là un grand problème de diagnostic qui laisse les « Policy makers » utiliser des instruments non appropriés. L’investissement productif ne pourrait pas supporter aujourd’hui un taux d’intérêt débiteur dépassant 11% auquel s’ajoutent les charges fiscales et sociales croissantes, les charges salariales et les augmentations des coûts des produits importés. Aujourd’hui, une large partie de la demande qui pourrait être source de pressions inflationnistes est alimentée par des revenus réalisés dans l’économie informelle et non observable et par la distribution d’une masse salariale publique non alignée aux normes de la production et de la productivité. C’est dans ce sens qu’il fallait chercher la solution. Aujourd’hui en Tunisie, le secteur structuré souffre des coûts de transaction élevés alourdis par des taux d’intérêt croissants, par une fiscalité lourde, par une bureaucratie accablante, par un contrôle fiscal réprimant et non équitable et par des charges sociales croissantes. Une telle situation ne fait que booster le secteur informel et favoriser l’évasion fiscale. La solution n’est pas dans la hausse du taux directeur, cela ne fait qu’empirer la situation. La solution est dans l’assouplissement des procédures, l’encouragement de l’investissement, la facilitation de la réglementation, l’accompagnement et l’orientation. Tout cela exige un Etat fort, équitable et juste. La Tunisie a aujourd’hui besoin d’un projet cohérent conciliant entre les impératifs d’une économie réelle prospère à travers l’encouragement de l’investissement, de la création emplois et le renforcement de la croissance et un système monétaire et financier répondant aux exigences économiques d’abord et aux équilibres financiers ensuite. Pour répondre à notre question, la hausse du taux directeur de la Banque centrale avec une telle ampleur (choc) et à ce rythme (soutenu) est de notre point de vue un problème risquant de freiner l’investissement et la piètre croissance déjà enregistrée compte tenu des maux non monétaires dont souffrent le pays et l’économie.