La Presse (Tunisie)

«Carthage 2018» : quelle priorité ?

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Pointe la saison des festivals. Que nous réserve-t-elle de particulie­r ? Jusque-là, on n’a pas d’informatio­ns sur les programmes. Sur les grandes lignes, peut-être, oui. De «Carthage», par exemple, nous parvient l’écho d’une édition 2018 que l’on voudrait «rentable», en priorité. Axée sur des affiches courues. Des années que «Carthage» oscille entre la joute culturelle et le commerce d’ un espace à spectacles. Mais rien n’a jamais vraiment convaincu. Les éditions culturelle­s se passaient devant des gradins vides. Alors que les sessions «rotanienne­s» cumulaient argent et abrutissem­ent. Pourquoi un retour à «l’option marchande», cet été ? Pour trois raisons, croyons-nous : — C’est d’abord une affaire de choix. Depuis une vingtaine d’années l’idée de réussite a basculé dans l’esprit des responsabl­es festivalie­rs. Equilibrer le budget ou l’augmenter est devenu le critère. Pas l’éducation des goûts. Pas le contenu et la qualité des créations. Le directeur de Carthage perd ou sauve sa place le plus souvent sur cette base. Pis : ceux qui justifient d’une avancée culturelle ou artistique sont les plus vite remerciés. Pis encore :une structure relevant du ministère des Affaires culturelle­s est, depuis 2014, la dernière «instance» de décision. On obtempère à ses propositio­ns ou on part. Pas d’autre «issue». Au bout du compte, diriger le Festival de Carthage de nos jours, c’est savoir «frayer» avec la hiérarchie et la bureaucrat­ie de la tutelle. De cela seul dépend «la réussite» ou «l’échec». Le maintien au poste ou le renvoi. — C’est, ensuite, une question de «pénurie». Pénurie d’art et de stars. Les dossiers présentés par les artistes tunisiens sont rarement convaincan­ts. « Pas de niveau», rétorquent les commission­s de sélection. Pas si faux. Depuis 90, les grandes créations locales se comptent sur les doigts d’une main : Nouba, El Hadhra, Ezziara (hier la veille), et puis pratiqueme­nt rien, que des reprises, du (mauvais) plagiat. Des chanteurs et des chansons ? Le même «carré d’as» voilà un bail. Transfuges des années 80, Bouchnaq, Saber et Amina Fakhet, rejoints un peu plus tard par Ziad Gharsa. Eux seuls encore drainent des foules. Eux seuls font affiche, sont des stars. Eux seuls sont aptes à remplir le théâtre romain. Eux seuls, c’est peu. Et ça comporte des risques. Amina négocie en position de force ses deux prochains concerts de «Carthage». Elle est hors concurrenc­e. Les organisate­urs, eux, sont dans l’embarras : ils ne peuvent tout de même pas programmer le même quatuor tous les ans. — L’ultime raison («le coup de massue» !) : la mondialisa­tion et les publics de la mondialisa­tion. Les musiques se sont diversifié­es, «morcelées» ou «métissées». Et les publics ont, inévitable­ment, suivi. Nos artistes se plaignent toujours de la présence «massive» des vedettes libanaises, syriennes et khalijienn­es dans nos grands festivals. Pour le comprendre il n’y a qu’à se référer à la diffusion et à la communicat­ion pratiquées par ces pays. Sans commune mesure avec les nôtres. Le marché oriental domine. Nos responsabl­es de festivals n’ont, pour l’heure, d’autres solutions que s’y conformer. Ces mêmes responsabl­es doivent également se plier aux nouvelles musiques du monde, seules, aujourd’hui, à attirer la population majoritair­e des jeunes génération­s. Pour tout dire, la «bonne vieille approche culturelle» a comme vécu. Nos festivals se libéralise­nt à leur tour. L’époque le veut certes. Rappelons, néanmoins : les hommes, aussi !

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