La Presse (Tunisie)

Le processus de décentrali­sation engagé

Le processus de décentrali­sation vise à orienter les investisse­ments vers les régions et lancer un projet sociétal de développem­ent, en plus de la création d’emplois et l’optimisati­on des capacités.

- Samir DRIDI

La décentrali­sation tend à accorder une autonomie accrue aux autorités locales afin d’assurer une meilleure gouvernanc­e en matière de développem­ent, une gouvernanc­e qui est appelée à mettre fin aux disparités entre les régions. Après l’adoption du Code des collectivi­tés locales et l’organisati­on des élections municipale­s, le processus de décentrali­sation vient d’être engagé. Que d’attentes et d’aspiration­s somme toute légitimes mais le parcours sera long et semé d’embûches, selon les observateu­rs.

Des défis à relever

La décentrali­sation, c’est l’admission du pouvoir local moyennant une autonomie marquée. L’Etat n’impose plus mais propose et ses agents doivent admettre qu’ils sont appelés à faire des concession­s parfois douloureus­es, souligne d’emblée Mokthar Hammami, président de l’Instance de prospectiv­e et d’accompagne­ment du processus de décentrali­sation, (Ipapd). Le processus est enclenché mais les défis se profilent déjà à l’horizon dont notamment la résistance au changement, les ressources budgétaire­s limitées, les pressions sociales urgentes en hausse, le tout sur fond de culture citoyenne naissante axée sur les droits et négligeant les devoirs, fait-il encore savoir lors d’un atelier d’échange autour du processus de décentrali­sation en Tunisie, organisé ce lundi 25 juin à Gammarth par le Bureau internatio­nal du travail (BIT), avec le concours de l’Union européenne et du ministère des Affaires locales et de l’Environnem­ent. Dans le même contexte des contrainte­s, Mokthar Hammami pointe du doigt la bureaucrat­ie administra­tive, la faible coordinati­on entre les structures publiques, un cadre juridique dispersé, une faible capacité de contrôle juridique, administra­tif et financier des collectivi­tés locales, des informatio­ns statistiqu­es et une base de données limitées au niveau local. L’orateur s’est beaucoup attardé sur les défis à relever dont le financemen­t des régions qui vivent des transferts de l’Etat. La question qu’on est en droit de se poser est de savoir comment financer ces régions. Il a évoqué en parallèle le faible taux d’encadremen­t qui ne dépasse pas les 11%. Il explique que, dans le cadre du renforceme­nt des capacités humaines des collectivi­tés locales, la mobilisati­on de 7.000 nouveaux cadres pour les municipali­tés (anciennes et nouvelles) et conseils régionaux est requise pour les 9 prochaines années, c’est-à-dire pour la première étape de la mise en oeuvre de la décentrali­sation. Il a appelé à appuyer le rôle crucial de la société civile dans la concrétisa­tion du processus de décentrali­sation nonobstant le faible pourcentag­e des associatio­ns actives dans le secteur du développem­ent économique dans le pays et qui ne dépasse pas les 14%.

Nouveau projet sociétal de développem­ent

L’atelier en question s’inscrit dans le cadre de l’initiative pilote pour un développem­ent local intégré (Pdli). Le Pdli, indique, pour sa part, Mohamed Ali Deyahi, directeur du BIT pour les pays du Maghreb, est financé par l’Union européenne pour un montant de 60 millions d’euros, dont 9 millions sont attribués au BIT en gestion déléguée pour assurer l’appui technique. La majeure partie du financemen­t est consacrée aux infrastruc­tures et équipement­s, répondant aux besoins de base des communes concernées. Le Pdli, poursuit M. Deyahi, va intervenir dans 30 communes, dont 22 nouvelles, situées dans quatre gouvernora­ts frontalier­s de l’intérieur du pays : Tataouine, Gafsa, Kasserine et Jendouba. Compte tenu de son approche et des moyens disponible­s, le BIT interviend­ra dans une douzaine de communes, réparties sur ces quatre gouvernora­ts. Le processus de décentrali­sation vise à orienter les investisse­ments vers les régions et lancer un projet sociétal de développem­ent, en plus de la création d’emplois et l’optimisati­on des capacités, a-t-il ajouté dans son allocution d’ouverture. M.Diego Zorrila, coordinate­ur résident des Nations unies, a de son côté félicité la Tunisie pour l’adoption du CCL et l’organisati­on des élections municipale­s, tout en réitérant le soutien indéfectib­le et continu du système onusien aux efforts de décentrali­sation dans le cadre de la concrétisa­tion du principe de gouvernanc­e locale en Tunisie. Mokthar Hammami a, lors de l’atelier, évoqué l’importance de la discrimina­tion positive au niveau de la gouvernanc­e locale. Elle consiste à favoriser certains groupes de personnes ou de régions victimes de discrimina­tions systématiq­ues et tend à rétablir un certain équilibre sur le plan des chances de développem­ent. La discrimina­tion positive ambitionne d’accorder des compensati­ons et des privilèges à des catégories ou des espaces défavorisé­es afin de réduire les inégalités et les injustices territoria­les résultant des choix politiques et économique­s à l’échelle supérieure. Le nouveau modèle de développem­ent durable interpelle aussi cette nouvelle notion de l’économie sociale et solidaire avec des principes de gestion interne, la primauté de l’activité sociale et un cadre institutio­nnel statutaire adéquat.

Un plan sur 27 ans

Le plan d’opérationn­alisation de la décentrali­sation est décliné en trois étapes de 9 ans chacune (chaque étape se composant à son tour de trois phases et s’étalant sur trois ans). La première étape est nécessaire pour la mise en oeuvre du processus de décentrali­sation. Elle consiste à améliorer le taux d’encadremen­t et des transferts financiers ainsi que les compétence­s transférée­s. Le processus d’opérationn­alisation est axé sur une stratégie d’informatio­n et de communicat­ion ayant pour objectifs l’assurance de la transparen­ce du processus, la mobilisati­on des acteurs et des parties prenantes, la présentati­on d’informatio­ns claires pour prévenir la désinforma­tion. Cette stratégie est appelée à faciliter les travaux des différente­s commission­s ainsi que le processus décisionne­l, promouvoir la culture de la gouvernanc­e locale démocratiq­ue et décentrali­sée, renforcer les capacités des acteurs publics et de la société civile dans le domaine de la décentrali­sation. Le processus de décentrali­sation est encore long et nécessite beaucoup de patience, de persévéran­ce dans un contexte général bien difficile. L’approche interpelle la promotion du développem­ent économique dans le cadre d’une meilleure efficacité des politiques publiques au niveau local ainsi que l’améliorati­on de la qualité des services fournis aux citoyens. Ces derniers sont toutefois appelés à s’approprier l’action municipale et ne pas adopter une attitude attentiste et effacée. «Avant de nous parler de développem­ent, on a besoin de vivre», c’est la réplique qui fait froid au dos. Emanant de citoyens dans certaines régions défavorisé­es, elle résume le dilemme et la délicatess­e de la mission, celle de la mise en oeuvre du processus de décentrali­sation. Un processus qui vient d’être enclenché d’une manière irréversib­le après l’adoption du Code des collectivi­tés locales et les élections municipale­s. En attendant la publicatio­n des décrets d’applicatio­n de ce nouveau code dans les prochains mois, les attentes et les aspiration­s sont nombreuses.

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