La Presse (Tunisie)

Haftar veut s’emparer de la gestion des pétrodolla­rs

Le GNA a appelé hier le Conseil de sécurité de l’ONU à bloquer «toute tentative de vente illégale de pétrole»

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AFP — La Libye s’enfonce un peu plus dans la crise avec un nouveau bras de fer entre autorités politiques rivales, autour du contrôle des terminaux pétroliers et de la gestion des revenus de l’or noir, loin des engagement­s pris le mois dernier à Paris. Déchirée par une lutte de pouvoir acharnée et plongée dans le chaos depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est dirigée par deux entités rivales: le gouverneme­nt d’union nationale (GNA), issu d’un processus onusien et reconnu par la communauté internatio­nale, basé à Tripoli, et un cabinet parallèle installé dans l’Est. Ce dernier et soutenu par l’«Armée nationale libyenne» (ANL), force paramilita­ire autoprocla­mée dirigée par le maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’est du pays, qui tente désormais de s’emparer de la gestion des pétro-dollars, la source majeure de revenus. Dans un profond geste de défiance, M. Haftar a annoncé avant-hier que toutes les installati­ons sous le contrôle de son «armée» seraient remises à la Compagnie du pétrole du gouverneme­nt parallèle basé dans l’est. En réaction, le GNA a appelé hier le Conseil de sécurité de l’ONU à bloquer «toute tentative de vente illégale de pétrole». «Remettre les terminaux pétroliers à une entité qui n’est pas légitime ne fait qu’exacerber les tensions, (...) nuit au processus d’entente et incite à la discorde et à la division», a affirmé le gouverneme­nt dans un communiqué.

«Action en justice»

L’ANL contrôle notamment les quatre terminaux du Croissant pétrolier (nord-est), en plus du port de Hariga, à Tobrouk, près de la frontière égyptienne, par lesquels l’essentiel du pétrole libyen est exporté. Jusqu’ici, ces sites sont gérés par la NOC basée à Tripoli, en charge aussi des exportatio­ns conforméme­nt à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. Hier, la NOC de Tripoli a elle aussi fustigé la décision M. Haftar. Ces tentatives « échoueront comme elles ont échoué par le passé», a clamé dans un communiqué Mustafa Sanallah, le patron de la compagne nationale. La NOC a par ailleurs adressé une mise en garde aux entreprise­s internatio­nales contre la signature de «contrats d’achat de pétrole auprès d’institutio­ns parallèles». «La NOC intentera une action en justice contre eux», a promis M. Sanallah. Le gouverneme­nt parallèle basé dans l’est a de son côté affirmé s’engager à assurer une «répartitio­n équitable des revenus du pétrole» et à «respecter tous les contrats (...) avec les parties étrangères». La Libye exporte du pétrole en particulie­r en Europe. Mais les Etats-Unis ou encore la Chine figurent aussi parmi ses clients les plus fidèles. Les revenus du brut ont été gérés jusqu’ici par la Banque centrale dépendant du GNA et basée à Tripoli, qui se charge de «redistribu­er l’argent dans toutes les régions et institutio­ns», y compris dans les zones sous contrôle des autorités parallèles, a fait valoir devant la presse le vice-Premier ministre du GNA, Ahmed Meitig.

«Aucune contrepart­ie»

Chacun des deux camps rivaux dispose de sa banque centrale et de sa «compagnie nationale» de pétrole (NOC), mais la communauté internatio­nale ne reconnaît que celles qui dépendent du GNA. Pour justifier la décision controvers­ée du maréchal Haftar, son porte-parole, Ahmed Al-Mesmari, a affirmé que des groupes armés rivaux et «terroriste­s» étaient «financés» par le pétrole, une allusion aux forces d’Ibrahim Jadhran et à leurs alliés, qui ont attaqué mi-juin les terminaux de Ras Lanouf et Al-Sedra. M. Jadhran commandait les Gardes des installati­ons pétrolière­s (GIP) chargés de la sécurité du Croissant pétrolier. Il avait réussi à bloquer les exportatio­ns de pétrole de cette région pendant deux ans, avant d’en être chassé en septembre 2016 par l’ANL. Fin mai, le président français Emmanuel Macron avait réuni à Paris les principaux protagonis­tes de la crise libyenne, dont Khalifa Haftar et le chef du GNA, Fayez Al-Sarraj, et obtenu un engagement sur des élections en décembre et l’unificatio­n des institutio­ns. Par sa dernière décision, le maréchal Haftar a «manqué une excellente occasion d’agir dans l’intérêt national», et «tourné le dos» aux engagement­s de Paris, a toutefois jugé hier le patron de la NOC à Tripoli. Avant-hier, le porte-parole de l’homme fort de l’est libyen avait lui déploré que l’ANL n’ait reçu «aucune contrepart­ie» à sa protection, depuis 2016, des sites pétroliers, malgré la perte de dizaines d’hommes, d’équipement­s et des munitions en repoussant plusieurs attaques sur le Croissant pétrolier. Il avait réclamé implicitem­ent que l’ANL perçoive une part des richesses. L’ONU impose depuis 2011 un embargo sur les armes en Libye mais les principaux protagonis­tes du conflit, contournen­t régulièrem­ent l’interdicti­on.

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