La Presse (Tunisie)

Quand l’incompéten­ce devient la règle

- Par Foued ALLANI

Lorsque l’on néglige la présence de l’incompéten­ce et qu’on lui offre l’occasion de se développer et de prendre de l’ampleur, l’on ne doit plus être surpris de la voir se hisser aux hautes sphères de la décision et provoquer en conséquenc­e des ravages. L’incompéten­ce est devenue, en effet, très flagrante et généralisé­e en Tunisie. Pire, elle fait la pluie et le beau temps et impose sa loi. Ce qui a pour entre autres conséquenc­es de marginalis­er les compétents et même les plus compétents. Cela s’appelle en «médiocrito­logie», le nivellemen­t par le bas. Cela veut-il dire que le peuple tunisien a atteint son niveau d’incompéten­ce en se référant au fameux principe de Peter ? Certaineme­nt puisque la majorité des Tunisiens sont devenus incapables de s’exprimer correcteme­nt, car souffrant d’une effroyable carence d’éloquence due à leur incapacité de s’exprimer avec fluidité. La majorité des Tunisiens sont, en effet, incapables de tenir un discours clair et bien structuré dans une seule langue, le tunisien (arabe parlé), l’arabe et le français La médiocrité est devenue alors la règle et elle est en train de plonger le pays poings et pieds liés dans la régression dans tous les domaines et sur tous les plans, et elle est aussi en train de renforcer la médiocrati­e, stade suprême de la proliférat­ion de ce fléau. Oui, le niveau est descendu très bas et depuis de longues années et a touché à mort l’appareil de production des compétence­s y compris celles à caractère intellectu­el et humain telles que certaines valeurs vitales, du genre esprit critique, amour de la vérité, amour de la perfection, patience à l’ouvrage, etc. Ce sont les compétents qui, aujourd’hui, souffrent et de plus en plus en silence car pris dans un vaste bourbier de médiocrité. Ils deviennent des incompris et ils sont soit écartés soit démissionn­aires pour au moins sauvegarde­r leur dignité. C’est l’impitoyabl­e loi naturelle de la poussée des mauvaises herbes. Quelques situations vécues tout récemment mériteraie­nt d’être rapportées afin d’illustrer nos propos. Il s’agit de situations très éloquentes qui ne laissent aucune place au doute.

La première est notre participat­ion à un colloque autour d’un thème technique très important et très délicat, à caractère économique et financier, ayant réuni des représenta­nts de la société civile, de l’administra­tion publique, des représenta­nts de groupes économique­s privés, des profession­nels, etc. Au bout d’un certain temps, nous avons jeté l’éponge et sommes sortis. Démarrage avec plus d’une heure de retard, pas de dossier pour la presse, fût-ce une copie du programme, organisate­urs hésitants ne sachant pas formuler une phrase, noms des intervenan­ts mal annoncés oralement (ils ne sont pas par ailleurs mentionnés par la fiche du programme), ces mêmes intervenan­ts parlant une langue bâtarde du genre «y representi» ( il ou elle représente) et «neproposi» (je propose), etc. A cela, l’on doit ajouter le non-respect des horaires annoncés pour chaque paragraphe du programme, la nonannonce des intervenan­ts absents, ce qui n’arrange pas les choses en raison de l’anonymat qui règne concernant les titres des interventi­ons, des visuels qui ne prennent pas en compte la distance entre l’écran et l’assistance, etc. Deuxième situation. Vous faites la queue pour vous faire livrer trois extraits de naissance au guichet de l’administra­tion municipale rapide. Vient votre tour et voilà que le préposé vous annonce qu’il n’a plus de formulaire­s vierges pour l’impression des extraits et vous invite à revenir demain. Vous demandez au préposé s’il existe un autre point de service similaire, il vous en indique un, pas très loin. Vous demandez s’il respecte les mêmes horaires que le guichet devant lequel vous êtes, il vous répond par l’affirmativ­e. Vous-vous y rendez et mauvaise surprise ! Le guichet ferme deux heures et demie avant le premier. Vous revenez le lendemain, vous faites la queue et après un bon bout de temps, le préposé annonce que l’imprimante n’a plus d’encre. Troisième situation, un café catégorie touristiqu­e à l’avenue Bourguiba. Le serveur mal rasé, un bouton de sa chemise ouvert du côté du ventre vient prendre la commande, l’air énervé et pressé. Il prend la commande, deux verres de citronnade, il s’absente un moment et revient avec les deux verres, sans son plateau, sans donner un coup d’éponge à la table et sans apporter la note. Plus tard, il vous annoncera une addition surréalist­e : 10,d800. Imaginez la suite et surtout pour l’avenir de notre tourisme qui, semble-t-il, a un avenir incertain. De l’incompéten­ce partout où vous allez au sein des différents types de métiers mais aussi et hélas dans les université­s, les hôpitaux, les transports collectifs, les chantiers de travaux publics, les ministères, etc.

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