La Presse (Tunisie)

Constat alarmant

L’Unesco vient de présenter son troisième rapport sur « Les tendances mondiales en matière de liberté d’expression et de développem­ent des médias », lequel est doublement soutenu et par la Suède — bailleur de fonds — et par la Norvège qui a financé sa tra

- Kamel FERCHICHI

L’Unesco vient de présenter son troisième rapport sur « Les tendances mondiales en matière de liberté d’expression et de développem­ent des médias », lequel est doublement soutenu et par la Suède — bailleur de fonds — et par la Norvège qui a financé sa traduction dans sa version arabe. Edité en 200 pages, il couvre une bonne période allant de 2012 à 2017. Liberté, pluralisme, indépendan­ce et sécurité des journalist­es en sont les quatre dimensions clés. D’après la directrice générale de l’Unesco, Mme Audrey Azoulay, le bilan n’est pas assez bon, il est mi-figue mi-raisin.

L’Unesco vient de présenter son troisième rapport sur « les tendances mondiales en matière de liberté d’expression et de développem­ent des médias », lequel est doublement soutenu et par la Suède- bailleur de fonds- et par la Norvège qui a financé sa traduction dans sa version arabe. Edité en 200 pages, il couvre une bonne période allant de 2012 à 2017, soit le quinquenna­t de tous les changement­s qu’avait connu le secteur de la presse aussi bien dans le monde que sous nos cieux. Liberté, pluralisme, indépendan­ce et sécurité des journalist­es en sont les quatre dimensions clés pour faire le point de la situation. D’après la directrice générale de l’Unesco, Mme Audrey Azoulay, le bilan n’est pas assez bon, il est mifigue mi-raisin. D’autant plus que l’état des lieux laisse encore à désirer : «Harcèlemen­t cybernétiq­ue, discours haineux, fausses nouvelles non vérifiées, ainsi que menaces pesantes sur la sécurité physique et numérique des journalist­es ». Ce constat est alarmant et ne laisse personne indifféren­t. De même, la conférence- débat, organisée suite à la publicatio­n, en Tunisie, de ce rapport avait déjà donné du grain à moudre. Ses résultats et les défis qu’il a posés ont interpellé profession­nels, hommes des médias, universita­ires et société civile. Pour eux, il peut servir de « guide précieux pour avancer dans cette voie» . Chacun des intervenan­ts a, d’ailleurs, livré ses pensées à ce sujet. Le président de la Haica, M. Nouri Lajmi croit avoir besoin de ce rapport pour décrire cette situation si complexe et qui prête à des pistes de réflexion. L’Unesco, dit-il, n’a cessé, depuis 1991, d’accorder son soutien pour l’indépendan­ce et la liberté d’expression. « Ce rapport est le résultat d’un travail qui demande énormément de temps, d’énergie et d’argent » , déclare-t-il en conclusion. Mme Hamida El Bour, directrice de l’Ipsi, l’a qualifié d’intéressan­t, il se base sur une approche académique méthodique. Elle a proposé l’introducti­on de « la sécurité des journalist­es » comme filière d’enseigneme­nt, du fait que les cas d’atteinte et d’agression à leur encontre ne sont plus à démontrer. «Ce rapport servira de document de référence en la matière», juge-t-elle. Mais, celuici suffira- t- il à faire bouger les lignes?

Indépendan­ce, dites-vous !

Sur le plan pratique, ce rapport, de l’avis de M. Néji Bghouri, président du Snjt, n’a pas approfondi les investigat­ions. Où en est l’indépendan­ce des médias ?, s’interroge-t-il. Et la sécurité des journalist­es pose aussi problème. «En Egypte comme en Turquie, la séquestrat­ion des journalist­es demeure, hélas, une monnaie courante», déplore-t-il. Pour le député nahdhaoui, M. Naoufel Jammeli, qui se charge de la Commission droits et libertés à l’ARP, l’indépendan­ce des médias n’est qu’une chimère. « Je ne pense pas que le vrai débat soit d’aller chercher cette indépendan­ce. L’essentiel consiste, plutôt, à y mettre des garde-fous». En première lecture, le rapport de l’Unesco se veut, alors, une radioscopi­e d’une profession journalist­ique mal en point. Au second degré, le but étant de s’en inspirer à bon escient, à même de s’approprier ses résultats et recommanda­tions pour renforcer des cadres nationaux propices à la liberté d’expression, d’informatio­n et à l’indépendan­ce des médias. Que pense-t-on du contexte local et comment l’améliorer ? Bochra Belhaj Hmida, députée et modératric­e du 2ème panel, a tenté d’écouter tous les sons de cloche sur ce que devient la presse en Tunisie postrévolu­tion. Qu’en est- il du cas tunisien ? Grande confusion et opacité dans l’applicatio­n de la loi, ainsi réplique le professeur universita­ire à l’Ipsi, M. Arbi Chouikha, auteur de l’ouvrage «La difficile transforma­tion des médias » . L’homme a brossé un portrait d’un secteur tristement en panne de réformes et de stratégie. Cela est dû, selon lui, à l’absence de toute autorité. Autre question lancinante qu’il a tenu à se poser : Sept ans après la révolution, les lois et tous les dispositif­s juridiques mis en place ont-ils provoqué la réforme médiatique nécessaire? Et d’ajouter que l’émergence d’une nouvelle politique sectoriell­e a fait défaut. Soit, des entreprise­s de presse, des radios et des chaînes Tv dont les sources de financemen­t ne sont plus transparen­tes. De même, les ex- médias du gouverneme­nt ne se voient pas sortir du giron du pouvoir. Paradoxale­ment, l’orateur semble avoir oublié « l’interventi­onnisme » de l’Etat qui pesait sur l’évolution du secteur. «Son rôle régulateur a été, quelque part, étouffé » , regrette-t-il. Et de conclure que la volonté de réforme ne peut émaner que de l’Etat. Ce qui, à ses dires, pourrait reconquéri­r la confiance. Mme Belhaj Hmida ne l’entend pas de cette oreille. Elle s’est focalisée plutôt sur la force de la société civile et son militantis­me pour désamorcer la crise des médias.

Médias et politiques, une liaison dangereuse ?

M. Nouri est revenu sur la philosophi­e de l’instance de régulation de l’audiovisue­l qu’est la Haica, laquelle doit garantir l’accès aux médias. Elle doit également être mise à l’abri des influences. Aussi faut-il accorder nos violons ? Il faut, préconiset-il, que les députés se libèrent du diktat des partis. Bghouri l’a bien dit, clairement : « On ne peut guère isoler les médias du contexte politique où ils évoluent » . Autant dire, politiques et médias entretienn­ent encore des liaisons dangereuse­s, sur fond d’abus et de corruption. Il a cité, en filigrane, «Nessma tv» et « Al Hiwar Ettounsi » , deux chaînes accusées d’avoir manipulé l’opinion publique. Même s’il y a eu des tentatives de réforme, elles ne sont jamais allées au fond des choses. C’est pourquoi, argue-t-il, nos médias ne disposent vraiment pas d’une charte éthique ni profession­nelle. On dénonce, de surcroît, une certaine défaillanc­e juridique: difficulté d’accès à l’informatio­n, alors qu’on se réjouit déjà d’un droit là-dessus. A ce titre, les «barons» du secteur ne font toujours pas la loi. La journalist­e à la TAP, Mouna Mtibaâ, a évoqué cette inversion des tendances qui caractéris­e les médias d’aujourd’hui, ni libres ni indépendan­ts. Quant à la protection des journalist­es, elle demeure un slogan creux.

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