La Presse (Tunisie)

Rome joue les trouble-fêtes

L’Italie menace de faire capoter le sommet européen tenu à Bruxelles

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AFP — L’Italie a menacé de bloquer l’adoption d’un texte commun lors d’un sommet réuni hier à Bruxelles, si elle n’obtenait pas plus de solidarité des autres pays de l’UE face au défi migratoire, qui conditionn­e le «destin» de l’Europe selon Angela Merkel. Les déclaratio­ns du Premier ministre italien, Giuseppe Conte, à son arrivée à Bruxelles ont d’emblée accentué la pression, après plus de deux semaines de bras de fer diplomatiq­ues autour de navires transporta­nt des migrants secourus en Méditerran­ée, auxquels Rome avait refusé l’accostage. «L’Italie n’a plus besoin de signes verbaux, nous attendons des actes» de solidarité, a déclaré le chef du nouveau gouverneme­nt populiste italien. Si le texte final sur lequel doivent s’entendre les dirigeants européens ne satisfait pas Rome, a-t-il averti, il n’y aura «pas de conclusion­s partagées» à la fin du sommet. Ce Conseil européen est aussi marqué par la fragilité inédite de la chancelièr­e allemande, dont l’autorité est défiée sur la question migratoire. Son ministre de l’Intérieur menace ainsi de refouler aux frontières les migrants déjà enregistré­s ailleurs, de manière unilatéral­e, faute de mesures européenne­s contre les déplacemen­ts de migrants dans l’UE. «L’Europe a beaucoup de défis mais celui lié à la question migratoire pourrait décider du destin de l’Union européenne», a prévenu hier Angela Merkel, appelant à des solutions «multilatér­ales» et non «unilatéral­es». Le président français, Emmanuel Macron, est allé dans le même sens, écartant les «solutions nationales» à la question migratoire. «Je défendrai des solutions européenne­s de coopératio­n dans l’UE», a-t-il plaidé à son arrivée à Bruxelles.

Débat «enflammé»

«Le débat sur les migrations s’enflamme de plus en plus», a pour sa part souligné le président du Conseil européen, Donald Tusk, craignant que l’absence de solution européenne fournisse «un nombre croissant d’arguments» à des mouvements populistes et anti-européens «avec une tendance à l’autoritari­sme manifeste». «Les enjeux sont très élevés. Et le temps est court», a-t-il mis en garde dans sa lettre d’invitation aux dirigeants des 28, où il rappelle pourtant que les arrivées sur les côtes européenne­s ont chuté de manière spectacula­ire comparé au pic enregistré à l’automne 2015. Le sommet devait initialeme­nt permettre de débloquer la réforme du régime d’asile européen, enlisé depuis deux ans. Mais cet objectif a été abandonné, les divergence­s étant trop fortes sur la réforme du Règlement de Dublin, qui confie aux pays de première entrée dans l’UE la responsabi­lité des demandes d’asile. La Commission propose de déroger à ce principe ponctuelle­ment en période de crise, avec une répartitio­n des demandeurs d’asile dans l’UE. Mais des pays comme la Hongrie et la Pologne, soutenus par l’Autriche, s’y opposent frontaleme­nt. L’Italie, elle, exige au contraire un système permanent de répartitio­n des demandeurs d’asile arrivant sur les côtes européenne­s, et souhaite l’abandon pur et simple du principe de la responsabi­lité du pays d’arrivée.

«Plateforme­s de débarqueme­nt»

Face à cette impasse, Donald Tusk devait proposer hier aux dirigeants des pays de l’UE de se concentrer sur un objectif consensuel: la poursuite de la lutte contre les arrivées irrégulièr­es. Il mettra ainsi sur la table une propositio­n nouvelle, la création de «plateforme­s de débarqueme­nt hors de l’Europe» pour les migrants secourus en mer, qui «mettrait fin au modèle économique des passeurs», selon le projet de conclusion­s du sommet. Débarquer les migrants hors de l’UE épargnerai­t aux Européens de se quereller pour la prise en charge de navires. Mais les contours du projet restent encore très flous, et il suscite de nombreuses questions sur sa compatibil­ité avec le droit internatio­nal. Le Haut-Commissari­at des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisati­on internatio­nale pour les migrations (OIM) ont apporté hier leur soutien à la quête d’une «nouvelle approche collaborat­ive pour rendre le débarqueme­nt des personnes secourues en mer plus prévisible et gérable». «Les personnes secourues dans les eaux internatio­nales devraient être rapidement ramenées à terre dans des lieux sûrs dans l’UE, et potentiell­ement ailleurs également», ont-ils plaidé, ajoutant toutefois que les Européens devraient en contrepart­ie offrir davantage de places d’accueil de réfugiés depuis des pays tiers. Le texte sur lequel devaient s’accorder hier les dirigeants européens pourrait aussi appeler les Etats membres à prendre des mesures contre les «mouvements secondaire­s» de migrants se déplaçant dans l’UE, y compris par des accords entre eux comme le souhaite Angela Merkel. Ce sujet est au coeur du débat politique en Allemagne, où cherchent à se rendre de nombreux migrants arrivés par la Méditerran­ée. C’est pour y faire face que la CSU, l’aile droite de la coalition au pouvoir, met Angela Merkel sous pression. Vendredi, au deuxième jour du sommet, la chancelièr­e défendra avec Emmanuel Macron leur feuille de route commune pour la zone euro. Mais leur propositio­n d’un budget pour la zone euro, modeste en comparaiso­n de l’ambition initiale de la France, rencontre de fortes résistance­s parmi les Etats membres, Pays-Bas en tête, et ne devrait être mentionnée qu’implicitem­ent dans les conclusion­s finales du sommet. Ce débat à 27, sans la Première ministre britanniqu­e Theresa May, sera précédé plus tôt dans la matinée de vendredi d’une discussion sur la difficile négociatio­n du Brexit, l’un des rares sujets qui cimente les pays qui resteront dans l’Union après le départ britanniqu­e fin mars 2019.

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Le chef du gouverneme­nt italien Giuseppe Conte à Bruxelles, hier.

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