Ils ont inondé l’espace
Ce qui relie tout ce beau monde est cette thématique reliée à l’élément Eau, qui renvoie à différentes notions, telles que la pression, celle exercée sur les corps individuels et sociaux, la Méditerranée, l’identité façonnée, à l’instar de l’eau qui, malgré sa force, demeure fragile, l’idée de l’adaptabilité, de l’ambiguïté et de la précarité.
Depuis le 27 juin et jusqu’au 1er juillet, l’événement d’art contemporain Jaou investit, à Tunis, galeries d’art et autres lieux symboliques du patrimoine tunisien. Jeudi dernier le public a pu découvrir l’exposition collective «Water pressure» du pavillon Mé (eau) à l’Aouina. L’équipe Jaou s’est penchée, pour cette nouvelle édition, sur certains lieux délaissés et oubliés pour mieux comprendre la richesse du discours d’histoire informelle, et le patrimoine qui en émane. L’idée étant de les faire redécouvrir, même si c’est en les détournant de leur fonction originelle. Pour ce qui est de la thématique, ce sont les 4 éléments de la vie, le feu, l’air, l’eau et la terre qui la constituent. « Ce sont ces éléments que l’on peut, ou voir, ou toucher ou sentir, tout en étant cette énergie invisible et indicible qui empêche le néant de tout engloutir. C’est, à mon sens, en respectant précisément cette absence de rigueur dans la définition de ces éléments, cette mollesse de précision, que l’on sera à même d’assurer la vastitude de leur sens et l’exactitude de leurs nuances» , note la commissaire générale et fondatrice de l’événement, Lina Lazaâr. Un élément a été, ainsi, dédié à chaque lieu du patrimoine autour desquels (la rencontre des deux) des artistes internationaux ont été invités à réfléchir et à présenter leurs oeuvres : l’ancienne Bourse du travail Tunis Marine (Le Silence), l’église de l’Aouina (l’Eau), l’imprimerie Ceres à Montplaisir, El Matbaa (le feu), Dar Baccouche ou Bab Menara (L’Air) et Tourbet Sidi Bou Khrissane (La Terre) à la Médina de Tunis. 4 jeunes commissaires d’exposition ont été contactées pour organiser le tout, il s’agit de Amel Ben Attia, Khadija Hamdi Soussi, Aziza Harmel et Myriam Ben Salah. Cette dernière a porté son choix sur l’élément Eau et l’église de l’Aouina pour y installer avec les artistes Mounira Solh, Meriem Bennani, Alex Ayed, Ligia Lewis, Philippe Parreno, Jess Moussallem, Lydia Ourahmane et Alya Hibri l’exposition collective «Water pressure». Ouverte au public depuis le 28 juin, l’exposition a drainé pour son vernissage un public fait surtout d’avertis. L’église qui se trouve dans une cité urbaine de l’Aouina est anciennement connue sous le nom de l’église Sainte-Thérèse de l’Enfant Jésus. Sa construction a été pensée suite à l’émergence d’un aérodrome de Tunis pour l’armée de l’air française. Elle a été érigée au croisement des routes principales reliant l’Aouina à l’Ariana et à La Marsa par l’architecte Claude Chandioux, qui a également conçu l’église de Tunis-Bellevue en 1926, celle de Saïda en 1928 et celle de SaintGermain 1929. Cet édifice religieux se distingue par son style néoromain. Inauguré le 18 décembre 1932 par son premier desservant l’abbé Deschanet, il a été dirigé principalement par des aumôniers militaires, chargés des offices. Sa vocation de lieu de culte dédié au personnel de l’armée l’a exigée. Le lieu a subi d’importants dégâts pendant les bombardements des avions anglais et américains en 1943. L’édifice a été reconstruit l’année suivante. L’église a fermé ses portes officiellement le 10 juillet 1964 suite à un modus vivendi signé entre le Vatican et le Gouvernement tunisien et fait partie du domaine de l’Etat depuis 1964. Investie par la Garde nationale, sa vocation a radicalement changé pour devenir une salle de boxe. Un espace où viennent s’entraîner garçons et filles. Le lieu ne garde, aujourd’hui, de sa vie passée, que l’aspect extérieur. Privé de sa cloche et de sa croix, l’édifice, comme le note Myriam Ben Salah, est un contenant vidé de sa symbolique. «Water pressure» pensée sur le modèle de l’infiltration rejoint cette idée d’investir un lieu qui n’a jamais été ouvert au public ni accueilli un événement culturel. La commissaire a fait appel à des artistes de différentes sensibilités, qui ne se connaissent pas et qui viennent de milieux différents. Elle a travaillé avec certains d’entre eux au cours des dernières années et elle a pu découvrir les travaux des autres au fur et à mesure. La Libanaise Hayla Hibri présente des photographies analogiques de jeunes boxeurs tunisiens qui s’entraînaient dans l’église, sa compatriote Jessy Moussalem qui propose une projection vidéo la rejoint dans cette volonté de raconter le quotidien. De la vidéo également avec Meriem Bennani, une jeune Marocaine qui vit à New-York. Alex Ayed, un artiste tuniso-belge qui évolue entre Bruxelles, Paris et Tunis, nous propose une sculpture éphémère en savon à l’huile d’olive (installée dans les sanitaires des lieux elle est accompagnée par l’écoulement de l’eau de robinet). Philippe Parreno, qui vient de Paris, a pensé dans son oeuvre «My room is another fishbowl» à remplir une partie de la salle avec des ballons en forme de poissons. Ligia Lewis qui vient des Etats-Unis nous a présenté une performance intitulée «So somthing happened, get over it; No nothing happened, get with it» et Lydia Ourahmane, une Algérienne qui vit entre Oran et Londres a inondé l’espace par une pièce sonore qui accompagne toute l’exposition. Ce qui relie tout ce beau monde est cette thématique reliée à l’élément Eau, qui renvoie à différentes notions, telles que la pression, celle exercée sur les corps individuels et sociaux, la Méditerranée, l’identité façonnée, à l’instar de l’eau qui malgré sa force demeure fragile, l’idée de l’adaptabilité, de l’ambiguïté et de la précarité. L’eau, comme l’explique la commissaire, renvoie, également, à la notion de «liquidité» utilisée par l’artiste allemande Hito Steyerl (réalisatrice et auteure allemande dans le domaine du documentaire vidéo, essayiste) pour décrire un type de cohabitation humaine où capitalisme, déshumanisation et excès deviennent prépondérants et retirent au corps social substance et stabilité. Une notion qu’elle a empruntée au philosophe et sociologue Zygmunt Bauman qui parle de son côté de «modernité liquide». Clôture aujourd’hui.