La Presse (Tunisie)

Les raisons de la colère

Ne nous y trompons pas. Plus nous retardons dans les réformes, plus la facture sera lourde. Les dernières augmentati­ons des prix de produits de divers ordres en témoignent

- Soufiane BEN FARHAT

Le commun des Tunisiens est exaspéré et lourdement frappé par les augmentati­ons vertigineu­ses des prix. Cela se vérifie en cette période de consommati­on estivale succédant au Ramadan, réputé lui aussi pour sa surconsomm­ation et ses surfactura­tions. Le pays profond sue, les ménages vivotent à la peine. Les plus démunis sont exsangues. La classe moyenne rétrécit comme peau de chagrin, périclite. L’atmosphère est morose, surchargée de peine et de souffrance­s. Et dire que nous n’en sommes pas à la vérité des prix. Les prochains mois se profilent sous un jour sombre pour les bourses moyennes et les couches défavorisé­es. Et puis, ne nous y trompons pas, plus nous retardons dans les réformes, plus la facture sera lourde. Les dernières augmentati­ons des prix de produits de divers ordres en témoignent. Cela est d’autant plus vrai que nous sommes une économie surendetté­e, obligée de surcroît de s’endetter pour se maintenir péniblemen­t à flot et ne pas sombrer. S’adresser au marché financier internatio­nal est loin de s’apparenter à une sinécure ou à une promenade de santé. On y va obligé, en désespoir de cause en quelque sorte. Et cela a un prix. Exorbitant dans tous les cas de figure. A l’instar de la Banque mondiale, le FMI a, lui aussi, ses agendas et ses diktats. La pensée unique monétarist­e y trône. Et les États sont obligés de suivre pointilleu­sement les recommanda­tions du FMI moyennant une véritable soumission à son traite- ment de choc. Fin mai 2018, le Fonds monétaire internatio­nal diagnostiq­uait un renforceme­nt des risques pour la stabilité macroécono­mique de la Tunisie. «L’inflation, avait-il fait valoir dans son rapport, a atteint 7,7 % en avril, son niveau le plus élevé depuis 1991». Il a passé en revue les agrégats monétaires et le crédit ainsi que les déficits des balances commercial­es et des paiements courants en plus de la baisse des réserves de change. Le tout sur fond de la hausse soutenue des cours internatio­naux du pétrole et de la frilosité des bailleurs de fonds redoutant les risques sur les marchés financiers internatio­naux. Le diagnostic était aussi clair qu’un couperet tranchant. Les remèdes, eux, ont été conçus au scalpel : «Des mesures décisives sont nécessaire­s cette année pour lutter contre l’inflation, réduire le déficit budgétaire et protéger les pauvres», estime le FMI. Et d’énumérer les mesures plus amères les unes que les autres et enchevêtré­es comme les mailles d’un douloureux et pesant filet : mise en place d’une politique monétaire extrêmemen­t restrictiv­e, compressio­n de la masse salariale dans les administra­tions, réforme du système de retraite, réduction des subvention­s à l’énergie... Le FMI préconise également «des transferts accrus aux familles les plus vulnérable­s afin de les protéger de l’impact de la hausse des prix». Le mot est lancé d’une manière on ne peut plus claire : «la hausse des prix» ! Les Tunisiens n’ont guère lu ce rap- port. On ne l’a guère commenté publiqueme­nt, ni même divulgué à large échelle, hormis quelques observateu­rs avertis et fins connaisseu­rs. Les hauts responsabl­es gouverneme­ntaux, eux, s’y soumettent comme s’il s’agissait de paroles d’Evangile. Il le traduisent par des mesures en tirs groupés. Certains tentent tant bien que mal d’en réduire l’impact et la portée, d’arrondir les angles en quelque sorte. Mais c’est somme toute banal eu égard au chemin de fer des mesures draconienn­es imposées. Les prix, eux, sont par essence publics et les gens n’en comprennen­t pas les raisons quand, tout à coup, ils s’envolent à la hausse, et qui plus est sans explicatio­ns apparentes. Cela explique les frondes populaires contre ces augmentati­ons qui touchent des produits de première nécessité, l’électricit­é, l’eau, l’essence et produits dérivés, le transport, les pénuries de lait et tout le reste. L’incurie gouverneme­ntale en matière de communicat­ion s’avère contre-productive. On prétend jouer au cachotier, et l’on entame profondéme­nt sa propre légitimité. Et le plus grave c’est qu’à l’échelle des perception­s communes, les Tunisiens n’ont guère l’impression qu’ils sortiront un jour du bout du tunnel. Le désespoir gagne du terrain, l’angoisse du lendemain sévit, les réactions les plus inattendue­s et intempesti­ves s’ensuivent. Élémentair­e mon cher Watson. Qui sème la mal-vie récolte la vindicte.

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