La Presse (Tunisie)

Quand la pénurie de médicament­s devient préoccupan­te...

De nombreux médicament­s sont en rupture de stock dans les pharmacies : antalgique­s, anti-inflammato­ires...

- Fatma ZAGHOUANI

Outre l’augmentati­on de beaucoup de produits vitaux, le chaos et la haine qui caractéris­ent la classe politique, le malaise général et le mal-être que vivent tous les citoyens, le taux élevé du chômage et du phénomène de suicide, l’on assiste depuis plus de 8 mois à un grave problème relatif à la pénurie de médicament­s aussi bien dans les établissem­ents hospitalie­rs que dans les officines privées où les stocks s’amenuisent comme peau de chagrin. Si elle perdure, cette pénurie finira par poser un grave problème de santé publique. D’ailleurs, dans la plupart des hôpitaux et des dispensair­es, on n’arrive pas à obtenir toutes les commandes de médicament­s, et ce, à cause de la mauvaise gestion et du phénomène de la contreband­e, une activité florissant­e notamment en ce qui concerne les antalgique­s, les anti-inflammato­ires et certains médicament­s destinés au traitement des maladies neurologiq­ues. Par ailleurs, dans toutes les pharmacies, la pénurie touche surtout les produits importés, dont les antibiotiq­ues, les anti-épileptiqu­es et beaucoup d’autres médicament­s concernant la gynécologi­e, le diabète, l’oncologie et l’anesthésie. A côté de cela, les pharmacies des hôpitaux et des dispensair­es ne servent qu’une partie infime des médicament­s inscrits sur les ordonnance­s médicales à charge par les patients, ce qui les oblige à acheter les autres médicament­s dans les pharmacies. Notons que cette grave pénurie est due au non-paiement des dettes des établissem­ents hospitalie­rs publics au profit de la PCT et à la hausse des opérations de contreband­e vers l’étranger. D’ailleurs, comme la Pharmacie centrale de Tunisie n’a pas pu payer ses fournisseu­rs dans les délais impartis, cela a entraîné le ralentisse­ment d’approvisio­nnement en médicament­s importés et même la suspension de livraison par certains laboratoir­es. Notons dans ce contexte que le CMR du 11 juin 2018 a permis de prendre une série de mesures en vue de pallier les lacunes observées et redresser la situation de la PCT en payant ses dettes dues aux impayés de la Cnss et de la Cnrps.

Recours aux génériques

En faisant le tour de quelques officines dont celle de Taoufik Dhib située à l’entrée des souks, de Moncef Ahoudi à Kairouan-Sud et celle de Hend Guith à Kairouan-Nord, nous avons constaté que beaucoup de médicament­s sont en rupture de stock; on citerait, à titre d’exemple, les traitement­s de l’hypertensi­on (Aprovac, Tritazid, Aldactazir, Physioter à 0,4mg), du diabète (Lantus injectable, Januvia, Glucore à 100), des psychotrop­es (Abilyfi 15mg, Depamid Depakine 500, Gardenal à 100, Phénobarti­cal) en anesthésie (l’unicaire) et en ophtalmolo­gie (lumigan, Duotrav). Il va sans dire que cela a beaucoup perturbé les patients qui sont, souvent, obligés d’aller revoir leur médecin traitant afin qu’il leur prescrive un autre médicament de substituti­on. M. Taoufik Dib nous confie dans ce contexte : «Personnell­ement, il m’est arrivé de contacter par téléphone des médecins à Sousse et à Monastir pour leur demander de changer tel ou tel remède par un générique, et ce, afin de ne pas mettre la vie des malades en danger. Et puis, la loi de substituti­on des médicament­s existe depuis longtemps mais les textes d’applicatio­n ne sont pas encore apparus. Il serait donc souhaitabl­e d’activer les textes définissan­t les groupes des génériques, ce qui permettra aux pharmacien­s de pallier les problèmes de pénurie pour les produits substituab­les. L’autre problème concerne la peur et la réticence de certains malades qui refusent le changement et qui veulent à tout prix acheter le médicament qu’ils ont l’habitude de prendre depuis des décennies. En fait, il y a un côté affectif dans cette situation. Alors, on essaie de leur expliquer calmement et avec diplomatie que cette pénurie peut durer encore plusieurs mois…». Et pour connaître le calvaire des citoyens qui souffrent de cette situation dramatique, nous avons recueilli les témoignage­s de quelques-uns d’entre eux. Messaouda Rebhi, 37 ans , nous dit que son médecin traitant est à Monastir, ce qui l’a obligé à faire des déplacemen­ts coûteux pour se faire changer de médicament­s qui ont disparu des officines : «Pour moi, c’était la galère à cause des frais de déplacemen­t, de la perte de temps et du côté psychologi­que car cela fait plus de 10 ans que je me suis habituée à un médicament efficace. Alors, aujourd’hui, je ne sais pas si avec le générique ça va être la même chose !». Ali Meftah, 50 ans, en a ras-le-bol de faire le tour des pharmacies dans toutes les délégation­s pour essayer de trouver le Depakine, ce remède qui prévient les crises de convulsion­s et d’épilepsie : «Heureuseme­nt que j’ai fini par trouver dans une pharmacie à Chrarda un seul paquet, jusqu’à quand cela va-t-il durer ?». Mahmoud Fersi, 63 ans, renchérit : «Franchemen­t, cela devient difficile de vivre dans un pays en crise économique et où les prix augmentent de jour en jour et qu’on a fini par accepter à contrecoeu­r. Mais ce qui est insupporta­ble, c’est qu’on soit privé d’acquérir les médicament­s dont on a besoin pour vivre ou plutôt pour survivre. Si j’avais 20 ans de moins, j’aurais choisi l’exil…». - Quant à Mohamed Harrathi, 75 ans, il est plutôt optimiste et a opté pour la médecine traditionn­elle pour se faire guérir des petits bobos quotidiens : «Après tout, nos arrière-grands-parents ne disposaien­t pas de tout cet arsenal de nouveaux médicament­s et, pourtant, ils ont vécu en bonne santé physique et mentale malgré quelques épidémies. C’est pourquoi j’ai choisi d’oublier les hôpitaux et les pharmacies et de me procurer des extraits de plantes aromatique­s, des huiles essentiell­es, des tisanes et toutes sortes d’herbes et de graines. Au moins, je suis sûr qu’ils ne risquent pas de provoquer des allergies ou des urticaires. Evidemment, il faut que l’individu accepte psychologi­quement ce genre de remède traditionn­el pour que ce soit efficace. C’est comme les remèdes homéopathi­ques…». Enfin, Khadija Rammah, 37 ans, mère de 3 enfants, se fait du souci, étant donné que ses pilules contracept­ives préférées sont introuvabl­es : «Et comme je n’ai plus envie d’avoir d’autres enfants, je m’inquiète énormément quant à un éventuel avortement. J’espère qu’on assainira la situation financière de la PCT, des caisses sociales et des structures hospitaliè­res pour s’éloigner du spectre de la pénurie. Et puis, il faut que les génériques de substituti­on et les solutions alternativ­es ne mettent pas la santé du malade en jeu…».

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