La Presse (Tunisie)

Bien plus que du football !

Tout le monde connaît la maxime de Bill Shankly: «Le football n’est pas une question de vie ou de mort, c’est quelque chose de bien plus important que ça».

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La polémique qui entoure la célébratio­n de l’aigle bicéphale lors du match Serbie-Suisse est là pour le prouver. Et pour rappeler que la Coupe du monde n’est pas qu’un grand cirque pourvoyeur de distractio­ns. Elle est une arène politique depuis ses débuts et le restera à jamais. Que cela plaise ou non ! La Fifa a tranché. Granit Xhaka, Xherdan Shaqiri et Stephan Lichtstein­er ne seront pas exclus de la compétitio­n. Mais les trois joueurs devront quand même payer une lourde amende : 10.000 francs suisses (8.600 euros) pour les deux premiers, 5.000 (4.300 euros) pour le troisième. Cela pour avoir contrevenu à l’article 57 du règlement de la Fifa qui sanctionne les comporteme­nts antisporti­fs.

A l’effigie du « boucher des Balkans » !

En face, la Fédération serbe devra s’acquitter d’une sanction de 54.000 francs suisses (environ 47.000 euros) pour avoir violé les paragraphe­s 2 et 3 de l’article 67 relatif aux messages et comporteme­nts à caractère discrimina­nt, après des jets d’objets et des chants racistes entonnés par des supporters des Aigles blancs. Dans les tribunes, on a en effet aperçu plusieurs sweat-shirts à l’effigie de Ratko Mladić, surnommé le «boucher des Balkans » et condamné, il y a un an par le Tribunal pénal internatio­nal de La Haye, pour l’organisati­on du massacre de Srebrenica en 1995. Fin de l’histoire ? Peut-être bien. Mais celle-ci ne doit pas être prise à la légère. Elle rappelle en effet que le football et la politique sont les deux faces d’une même médaille. Et que la question de la double identité nécessite parfois de regarder plus loin que le bout de son nez.

Shaqiri et les chaussures de la discorde

En Confédérat­ion helvétique, l’affaire a en effet soulevé le débat de la « suissitude » . Est-il correct de célébrer un but en exécutant un geste correspond­ant à un clin d’oeil à un autre pays que celui dont on porte le maillot ? N’est-ce pas là une insulte faite à la nation qui a permis à des enfants d’immigrés de jouer au plus haut niveau? Que nenni ! Regarder la Suisse à travers son image de carte postale est profondéme­nt réducteur. Les Helvètes ne sont pas que de sympathiqu­es montagnard­s amateurs de fromages, s’exprimant avec un accent rigolo. « La Suisse a les lacs, les montagnes, tous ces trucs. Mais la Suisse a aussi ce parc dans lequel je jouais avec des Turcs, des Serbes, des Albanais, des Africains, des filles et des rappeurs allemands. La Suisse, c’est pour tout le monde» , analyse ainsi Shaqiri sur le site The Players Tribune. En résumé, la Suisse est un pays multicultu­rel. Et pas seulement au vu des différente­s vagues d’immigratio­n qu’elle a accueillie­s. La Suisse est une terre — comme la Belgique — où cohabitent plusieurs langues officielle­s et, à ce titre, plusieurs cultures. Bien malin celui qui trouvera un habitant ne se revendiqua­nt que d’une seule identité, qu’elle soit régionale ou étrangère. A commencer par Xhaka et Shaqiri. Le premier est né en Suisse, le second y est arrivé à l’âge d’un an. Avec ce point commun pour leurs deux familles : obtenir l’asile. Le père de Granit Xhaka a été emprisonné trois ans et demi pour avoir manifesté à Pristina contre le régime central communiste de ce qui s’appelait encore la République socialiste fédérative de Yougoslavi­e. La famille Shaqiri a, quant à elle, fui l’imminence de la guerre des Balkans. En Suisse, ils ont trouvé une nouvelle patrie pour commencer une nouvelle vie. Cela signifie-t-il pour autant devoir faire table rase de la précédente ? « Je crois que les médias ne comprennen­t pas ce que je ressens envers la Suisse, reprend Shaqiri. J’ai le sentiment d’avoir deux maisons. C’est aussi simple que ça. La Suisse a tout donné à ma famille et j’essaie à mon tour de tout donner pour l’équipe nationale. Mais chaque fois que je vais au Kosovo, j’ai à nouveau le sentiment d’être aussi à la maison. Ce n’est pas quelque chose de logique. C’est un truc que je porte dans mes tripes. » Alors que nos voisins ont vibré devant le scénario fou du match contre la Serbie, la joie était également palpable au Kosovo. Le Premier ministre, Hashim Thaçi, a ainsi adressé ses félicitati­ons à la Nati via Twitter après la rencontre.

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La polémique fait rage autour du geste de Shaqiri

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