La Presse (Tunisie)

La Liga russe

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Après la chute de l’URSS, le football espagnol se met à accueillir un contingent russe qui ne cessera de s’étoffer au cours des années 1990...

Ainsi, la Liga devient rapidement le championna­t le plus fréquenté par les internatio­naux de la Sbornaya, après la ligue russe. Un drôle de mariage rendu possible grâce au coup d’oeil d’un Basque qui avait fait de l’URSS sa seconde patrie : Ruperto Sagasti. Ils jouent respective­ment à l’Espanyol Barcelone, au Racing Santander et Logroñes. Le plus célèbre d’entre eux, Oleg Salenko, rejoindra même le Valence FC. Le Mondial 1994 approche, et le sélectionn­eur russe, Pavel Sadyrin, a dévoilé sa liste de joueurs sélectionn­és pour la compétitio­n : parmi les heureux élus, pas moins de six évoluent en Espagne, en première comme en seconde division. L’URSS, pourtant, n’est tombée que depuis trois ans. Mais de nombreux footballeu­rs russes ont déjà pris leurs cliques et leurs claques, direction la péninsule ibérique.

Dassaev, le coeur rouge

De 1988 à la fin des années 1990, pas moins de 25 joueurs russes, et pas des moindres, s’en vont goûter aux plaisirs du football espagnol. Parmi eux, on peut notamment citer Rinat Dassaev, Valeri Karpine, Oleg Salenko ou encore Aleksandr Mostovoï. Une diaspora qui ne doit pas grand-chose au hasard. Le flirt que la Russie post-communiste entretiend­ra avec la Liga débute en réalité bien indirectem­ent un triste jour de juin 1937. La guerre civile espagnole bat alors son plein, et les civils quittent massivemen­t le pays pour échapper aux horreurs du conflit. Ruperto Sagasti, un frêle adolescent de treize ans qu’on dit déjà doué avec un ballon, est l’un d’eux. Le môme embarque sur un bateau nommé le Habana, qui transporte depuis Santurtzi, une ville du nord-ouest du Pays basque, les réfugiés de guerre jusqu’en France. La destinatio­n finale de nombreux camarades d’infortune de Ruperto, mais pas la sienne. Sagasti emprunte en effet dans la foulée une autre embarcatio­n vers une contrée bien plus lointaine : l’Union soviétique.

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L’exil, pourtant, ne lui a pas ôté sa passion pour le ballon rond. Débarqué à Leningrad, il émigre rapidement à Odessa, en Ukraine. Là, il se met en évidence au poste d’attaquant au sein de l’équipe d’immigrés espagnols locale. Il est alors repéré par des observateu­rs russes et intègre le Krylia Sovetov, à Samara, avant de carrément rejoindre le grand Spartak Moscou. Sa carrière s’arrête néanmoins prématurém­ent, en 1952, lorsqu’il subit une grave blessure au genou. Qu’importe, la science du jeu de Sagasti a tapé dans l’oeil des Soviétique­s, et l’Etat lui paie même ses cinq années d’études à l’Institut de culture physique de Moscou. Un temple du sport rouge, où il finit même par enseigner, participan­t ainsi à la formation d’une nouvelle génération d’entraîneur­s soviétique­s.

L’oeil de Moscou

La chute de l’URSS lui permettra ensuite de créer un pont inattendu entre le football espagnol et la Russie post-communiste. Une tâche à laquelle Sagasti ne s’est pas attelé seul, mais avec l’aide d’un autre Basque, l’agent Iñaki Urquijo, qui avait compris le potentiel dormant qui résidait dans le marché des joueurs issus de l’ex-URSS. Sur place, Ruperto déniche les talents locaux et suggère des noms à Urquijo, qui se charge ensuite de rapatrier les joueurs tentés par l’aventure ibérique. Très actif auprès de l’Espanyol Barcelone, Urquijo fait notamment signer au sein du club catalan trois internatio­naux russes, Dmitri Galiamin, Igor Korneiev et Dmitri Kuznetsov. De son côté, Sagasti n’oublie pas lui aussi de mouiller la chemise et quittera même brièvement la Russie pour servir d’interprète à Rinat Dasaev, le premier footballeu­r russe à évoluer en Liga, à la suite de sa signature au FC Séville en 1988. Un boulot de traducteur qui sera plus complexe qu’il n’y paraît pour Sagasti : « Ces gens à Séville mangeaient leurs mots, je comprends mieux l’espagnol de ma fille qui est née à Moscou ». Son associatio­n avec Urquijo continue néanmoins de carburer. L’agent basque devient ainsi également très influent au Racing Santander, où sept joueurs russes évolueront dans les années 1990: Dmitri Radchenko, Ishlat Faizulin, Dmitri Ulianov, Dmitri Popov, Serguei Shustikov, Andreï Sygmanovic­h et Vladimir Beschastny­kh. En 1994 puis 1996, ce serait aussi sur les recommanda­tions d’Urquijo que Valeri Karpine puis le Tsar Alexander Mostovoi s’engagent respective­ment à la Real Sociedad et au Celta Vigo. Sagasti, lui, ne manquera pas de retourner à plusieurs reprises en Espagne, sans jamais s’y réinstalle­r, étant désormais trop viscéralem­ent lié à cette Russie qui l’avait adopté. Le 25 novembre 2008, il s’éteignait finalement, à l’âge de 85 ans. A Moscou, évidemment.

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