Le masculin en question
Qu’est-ce que le «droit chemin» et à quel prix doiton l’arpenter ? Nancy Naous détourne la réponse et sème ses embûches chorégraphiques sur ce chemin tout tracé.
Au programme de la première édition de «Carthage dance», le public a eu rendez-vous, samedi dernier, à la salle Jeunes créateurs de la Cité de la culture, avec la chorégraphie de la Libanaise Nancy Naous «Dresse- le pour moi». Deux danseurs, Nadim Bahsoun et Alexandre Paulikevitch, portent à travers leurs corps le questionnement qu’adresse Nancy Naous à la masculinité dans le monde arabe.
Au programme de la première édition de «Carthage dance», le public a eu rendez-vous, samedi dernier, à la salle Jeunes créateurs de la Cité de la culture, avec la chorégraphie de la Libanaise Nancy Naous «Dresse-le pour moi». Deux danseurs, Nadim Bahsoun et Alexandre Paulikevitch, portent à travers leurs corps le questionnement qu’adresse Nancy Naous à la masculinité dans le monde arabe. «Dresse-le pour moi» est la traduction d’un fragment d’une invocation sunnite en arabe, où un père dit : «Dieu, tu sais que je me suis efforcé à éduquer mon fils ; j’y ai échoué. Dieu, dresse-le pour moi» . D’emblée, la chorégraphe pointe du doigt cette violence exercée sur le corps masculin dès la naissance, au nom des références religieuses, mais pas que. Le poids social est également là présent avec toute sa lourdeur sur les pas des danseurs qui s’explorent et explorent l’espace autour d’eux. Qu’est-ce que le «droit chemin» et à quel prix doit-on l’arpenter? Nancy Naous détourne la réponse et sème ses embûches chorégraphiques sur ce chemin tout tracé. Le corps «masculin» de ses danseurs commence par se déplumer de toutes ces assignations à identité(s), avant de commencer à jouer avec, et à les retourner contre ceux qui les sacralisent. Le masculin de Nancy Naous est pluriel, trans, viril et fragile, il échappe aux catégorisations. Pour mieux les abattre, il les énumère et passe outre en adressant sa prière à la liberté du mouvement et la grâce de la forme. Le corps et ses expressions conventionnellement déterminées (cheveux, barbe, moustache...) sont le terrain de jeu de sa chorégraphie. Elle compose avec de nouveaux enjeux, un corps qui se forme et se déforme à la guise de la créativité et de la liberté, et non à celle des codes sociaux des uns et des autres. Un corps qui émane de lui-même et pour lui-même. Au centre de ce questionnement, le corps masculin arabe face à la danse qui lui est attribuée. Dans le cas du pays de Nancy Naous et de ses danseurs, c’est la dabkeh, concentré des «adjectifs qui lui ont été inculqués : performant, érectile, pénétrant, dur, dominant, conquérant». De l’autre côté, la danse du ventre observe, sourire en coin, avant de prendre les devants de la scène et se lancer dans un jeu de rôle où elle défie les codes et les clichés. Jusqu’à se fondre avec sa rivale, jusqu’à ce que les corps se libèrent et se dénudent totalement, sauf d’une lumière tamisée avec laquelle la chorégraphe les protège dans leurs intimités. «Dresse-le pour moi» est une oeuvre de plus qui démontre la volonté d’une jeune génération de chorégraphes arabes, comme Nancy Naous et Ali Chahrour avec «Fatmeh», de faire de leur héritage culturel un objet de recherche et de questionnement, avec des outils contemporains et leurs propres codes.