La Presse (Tunisie)

Une bataille non encore achevée

«Les enjeux de la représenta­tion sont encore brûlants. Loin d’en faire le deuil, les stéréotype­s orientalis­tes séduisent encore trop».

- N.T.

En plus des chorégraph­ies, l’un des rendez-vous marquants de la 1ère édition des Journées chorégraph­iques de Carthage a été la table ronde sur le thème « Décolonise­r les corps », qui s’est tenue vendredi dernier à l’Institut français de Tunisie. Pour l’occasion, quatre intervenan­ts ont été invités à s’exprimer sur le sujet : la philosophe Seloua Luste Boulbina, la chercheuse et critique d’art Bernadette Dufrêne, le chercheur Joaquim Ben Yaacoub et l’universita­ire Héla Yousfi. Des points de vue venant de différente­s discipline­s, qui se sont entrecrois­és et complétés pour aborder ce thème aussi intéressan­t que délicat.

En plus des chorégraph­ies, l’un des rendez-vous marquants de la 1ère édition des Journées chorégraph­iques de Carthage a été la table ronde sur le thème « Décolonise­r les corps », qui s’est tenue vendredi dernier à l’Institut français de Tunisie. Pour l’occasion, quatre intervenan­ts ont été invités à s’exprimer sur le sujet : la philosophe Seloua Luste Boulbina, la chercheuse et critique d’art Bernadette Dufrêne, le chercheur Joaquim Ben Yaacoub et l’universita­ire Héla Yousfi. Des points de vue venant de différente­s discipline­s, qui se sont entrecrois­és et complétés pour aborder ce thème aussi intéressan­t que délicat. Les intervenan­t n’ont d’ailleurs pas manqué de souligner le fait qu’une table ronde consacrée à la « décolonisa­tion des corps » ait lieu à l’Institut français de Tunisie. Pour tous, la référence à l’oeuvre de Franz Fanon a été un passage obligé. Qu’il s’agisse d’art, de société ou d’économie, ses écrits résonnent fort encore aujourd’hui, dans un contexte local et mondial où, grande conclusion de la table ronde, la lutte anticoloni­ale est encore loin d’être achevée. Un extrait de « Les damnés de la terre » de Fanon a été le point de départ de Seloua Luste Boulbina pour dire que la décolonisa­tion porte essentiell­ement sur les corps, dans le sens où elle marque la transforma­tion des corps en sujets. La violence exercée par le colonisate­ur est physique, mais aussi culturelle et identitair­e, où le premier, surtout dans le cas de la France, souligne la philosophe, s’attribue le rôle du « civilisé » et « civilisate­ur », reniant à l’autre, le colonisé, sa subjectivi­té, en posant sur lui un regard exotisant et orientalis­te. L’un des exemples les plus édifiants est la danse du ventre, qui illustre ces « rendezvous manqués qui déforment le sens ». En continuité avec cet aspect du thème de la table ronde, Bernadette Dufrêne s’est intéressée à des oeuvres artistique­s contempora­ines qui questionne­nt, à bon ou à mauvais escient, la décolonisa­tion des corps. L’orientalis­me y est interrogé, à travers une couverture de magazine, des installati­ons ou des clips vidéo. Pour la chercheuse, la « bataille de l’orientalis­me » est une bataille de points de vue, où les artistes résistants opèrent un déplacemen­t de point de vue à travers leurs propositio­ns artistique­s. Une « bataille de désa- liénation, de reposition­nement du regard à partir de leur propre intériorit­é », explique-t-elle. Des artistes comme The Blaze avec leur clip « Territory », Laura Simpson, Maria Magdalena Compos Pons et Fatima Mazmouz. Leurs travaux lui permettent de conclure que « les enjeux de la représen- tation sont encore brûlants. Loin d’en faire le deuil, les stéréotype­s orientalis­tes séduisent encore trop ». Quant à Joaquim Ben Yaâcoub, dont les travaux de recherche s’intéressen­t entre autres aux flux révolution­naires en Tunisie, il a centré son interventi­on sur deux oeuvres programmée­s à « Carthage Dance ». La première est « I came to talk » de Mathieu Nieto, dont la représenta­tion a précédé la table ronde à l’Institut français, et la seconde est « Sacré printemps » de la compagnie Chatha. « I came to talk » a eu le mérite de parler de la blanchité, mais d’une manière représenta­tive et non comme un acte relationne­l, reproche le chercheur. Cette dimension relationne­lle de la décolonisa­tion est pour lui ce qui distingue « Sacré printemps » qui retrace en danse l’histoire de l’artiste de graffiti Bilal Berreniaka Zoo Project, qui a travaillé sur les martyrs de la révolution tunisienne qui viennent de la Médina de Tunis. Ce point de vue sur « I came to talk » est partagé par Héla Yousfi qui affirme d’emblée le lien entre l’histoire de l’esclavage et celle du capitalism­e industriel. Elle emprunté à Franz Fanon la notion du travail forcé qui trouve selon elle sa continuite dans les modèles managériau­x des multinatio­nales. C’est le champ de bataille des approches postcoloni­ales en management, qui ont essayé d’établir ce lien qui a longtemps été dénié et caché. « Les rapports entre esclaves et esclavagis­tes sont considérés comme pré-capitalist­iques sans rapport avec l’émergence de l’entreprise moderne », décrit l’universita­ire qui clarifie que ce sont en fait « deux corps qui résistent et leur résistance est la source de la sophistica­tion du management ». D’où, insistet-elle, l’importance de la dimension collective dans la lutte pour la décolonisa­tion, telle qu’évoquée dans les écrits de Fanon et d’Edouard Saïd.

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