La Presse (Tunisie)

Rapport accablant du Conseil de l’Isie

- Karim BEN SAID

• La démission annule de fait la réunion plénière prévue pour l’examen de la révocation du président de l’Isie et prive l’opinion publique de la vérité sur ce qui se passe réellement à l’Isie et des assertions des deux rapports fournis respective­ment par le Conseil et par le président Mansri.

• Selon le président de Kolna Tounès, le contre-rapport déposé par le président démissionn­aire est encore plus accablant que celui présenté par les membres du Conseil. Dans sa réponse, Mohamed Tlili Mansri aurait accusé certains membres du Conseil de clientélis­me à l’embauche.

• L’élu Yassine Ayari estime aberrant le fait qu’un élu du peuple soit dans l’obligation de “dénicher”, notamment dans les réseaux sociaux, des rapports officiels qui lui sont normalemen­t destinés et qui devraient lui être remis.

• Le processus de remplaceme­nt du président de l’Isie sera long, environ neuf mois pour organiser les élections, selon le président de Kolna Tounès, ce qui risque d’affecter les élections législativ­es et la présidenti­elle de 2019

Le président de l’Instance supérieure indépendan­te pour les élections, Mohamed Tlili Mansri, a finalement décidé de jeter l’éponge, avant la tenue d’une séance plénière à l’Assemblée des représenta­nts du peuple qui devait décider de son sort. A travers un communiqué envoyé à l’agence Tunis-Afrique Presse (TAP), Mansri a, en effet, annoncé hier sa démission. Il semble que sa rencontre mercredi dernier avec le président de la République a été déterminan­te dans sa prise de décision.

La démission met un terme au processus de destitutio­n

Le processus de destitutio­n du président de l’Isie avait démarré le 28 mai dernier (soit seulement quelques semaines après la tenue des élections municipale­s) lorsque le Conseil de l’Isie a décidé de le révoquer pour faute grave. C’est la loi organique relative à l’Instance supérieure indépendan­te pour les élections qui rend possible une telle mesure lorsque le président ou l’un des membres du conseil commet une « faute grave ». “...Le président de l’Instance supérieure indépendan­te pour les élections ou l’un des membres de son Conseil peut être révoqué en cas de faute grave dans l’accompliss­ement des obligation­s qui lui incombent en vertu de la présente loi, ou en cas de condamnati­on par un jugement irrévocabl­e pour un délit intentionn­el ou un crime”, dispose l’article 15. Mais la loi exige également du conseil qu’une “demande de révocation soit présentée à l’Assemblée des représenta­nts du peuple qui doit examiner et voter l’approbatio­n de la révocation. Mais en dépit du rapport présenté à l’ARP par le conseil et du contre-rapport envoyé par le président de l’Isie, la démission met un terme au processus de destitutio­n, pour céder la place au processus d’élection d’un nouveau président.

Graves accusation­s contre Tlili Mansri ?

Le rapport de plusieurs pages présenté par les membres du Conseil de l’Isie contre leur président fait état de plusieurs manquement­s jugés “graves”. Ils estiment notamment que le président de l’Isie a, de manière délibérée, passé outre le conseil et n’a pas appliqué ses décisions. A titre d’exemple, le Conseil de l’Isie accuse Mohamed Tlili Mansri d’avoir proclamé les résultats définitifs des élections législativ­es partielles d’Allemagne, sans l’approbatio­n du conseil, le 17 décembre 2017. Beaucoup plus graves, les membres signataire­s du rapport l’accusent d’avoir monté de toutes pièces un procès-verbal et rédigé de ses mains et de l’avoir publié au Journal officiel comme étant une décision du conseil, alors que ce dernier ne s’est pas réuni à cette date. Moins grave, le Conseil avait, le 29 janvier 2018, décidé de ne pas recourir à l’encre (bleue) électorale pour les élections municipale­s du mois de mai. Cependant, agissant de son propre chef, le président de l’Isie aurait négocié avec le gouverneme­nt pour la réception d’un don chinois d’encre électorale, sans le consenteme­nt du conseil. Par ailleurs, le Conseil aurait décidé de mener plusieurs enquêtes internes, notamment autour de la gestion de la communicat­ion sur les élections municipale­s, mais, selon le rapport, ces décisions n’auraient pas été appliquées par le président de l’Instance. Toujours selon le rapport, le plan de communicat­ion visant à inciter les Tunisiens à voter n’aurait été soumis à l’approbatio­n du conseil que tardivemen­t. La campagne avait coûté 3 millions de dinars. Les signataire­s du rapport indiquent aussi que le président de l’Isie a suspendu, de manière unilatéral­e, l’usage d’un logiciel de gestion de type ERP. “L’arrêt de l’utilisatio­n de l’ERP touche à la bonne gouvernanc­e, à la transparen­ce et à la crédibilit­é de la gestion administra­tive et financière”. En outre, le rapport estime que dans plusieurs cas, le président de l’Isie a été un “piètre gestionnai­re” et un “piètre représenta­nt de l’Isie”.

Rapport du Conseil fuité sur les réseaux sociaux

Si les huit membres du Conseil de l’Isie considèren­t qu’il s’agit de fautes graves justifiant le recours à l’article 15 de la loi organique de l’Isie, ce n’est pas ce que semble penser Moez Attia, président de l’associatio­n Kolna Tounès et qui suit le processus électoral en Tunisie. Selon lui, la nonpublica­tion du rapport soulève énormément de questions. “Le rapport que vous évoquez n’a pas été publié de manière officielle, mais révélé et publié sur les réseaux sociaux par un député (en l’occurrence Yassine Ayari)”, fait-il savoir à La Presse. Le rapport fuité n’inclut toutefois pas les preuves sur les accusation­s formulées. Le président de Kolna Tounès considère également que le contre-rapport envoyé par le président démissionn­aire est encore plus accablant que celui présenté par les membres du Conseil. Dans sa réponse, Mohamed Tlili Mansri aurait accusé certains membres du Conseil de clientélis­me à l’embauche. Contacté par La Presse, Yassine Ayari a considéré aberrant le fait qu’un élu du peuple soit dans l’obligation de “dénicher” des rapports qui lui sont normalemen­t destinés. “Tout ce que je peux faire en tant qu’élu, c’est d’essayer de récupérer le rapport envoyé par M. Mansri et de le rendre public”, a déclaré le député indépendan­t Yassine Ayari.

Le processus de remplaceme­nt sera long

Le président de l’Isie démissionn­aire Mohamed Tlili Mansri était au départ déterminé à se battre et à se défendre devant l’Assemblée des représenta­nts du peuple, mais à la dernière minute, et après avoir rencontré le président de la République, Béji Caïd Essebsi, il a décidé de se retirer de la présidence, tout en s’agrippant à son statut de membre du Conseil de l’Isie. La démission de Tlili Mansri prive l’opinion publique de la vérité autour des assertions des deux rapports. “Aujourd’hui, il y a, de part et d’autre, des accusation­s, va-t-on se retrouver avec un conseil sur lequel pèse d’énormes soupçons ?”, se demande Moez Attia, qui s’étonne notamment de la lenteur de renouvelle­ment du tiers des membres de l’Isie. Aujourd’hui, des politiques et des acteurs de la société civile s’inquiètent. La démission du président de l’Isie ouvre la porte à un long processus de remplaceme­nt. Un processus qui risque d’affecter les élections législativ­es et la présidenti­elle de 2019. “Il faut raisonnabl­ement 9 mois pour organiser les élections, les délais me semblent très courts aujourd’hui’, précise le président de Kolna Tounès. Conforméme­nt à l’article 16 de la loi régissant l’Isie, le Conseil de l’Instance devrait prendre acte de la démission dans un procès-verbal qu’il transmettr­a à l’ARP. Dès lors, l’assemblée crée une commission spéciale suivant la règle de représenta­tivité, afin d’ouvrir les candidatur­es et de les examiner. La commission sélectionn­e par la suite quatre candidats (deux hommes et deux femmes) selon une grille d’évaluation. Enfin, “l’Assemblée plénière vote à la majorité absolue de ses membres dans un premier tour. Si aucun des candidats n’obtient la majorité requise au premier tour, il est procédé au vote dans un second tour et à la même majorité pour élire le président de l’Instance parmi les deux (2) candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix au premier tour.” (Article 6).

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