La Presse (Tunisie)

Malla jaou, malla jaou

«Repenser sur le mode artistique, et dans une veine plastique, notre rapport au patrimoine et au musée, comme vecteur de transmissi­on de ce legs, est une réflexion qui transcende la création des artistes et la sublime au plus haut point».

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Quatre jours durant, en ce mois de juin, sans que la canicule ne ralentisse notre ardeur, nous avons sillonné les lieux les plus insolites de la ville, ceux que la plupart d’entre nous ne connaissai­t pas pour la bonne raison qu’ils étaient fermés et inaccessib­les au public. Ces lieux, cinq en tout, Lina Lazaâr et son équipe les ont trouvés après en avoir visité une cinquantai­ne, tout aussi évocateurs, tout autant chargés d’histoire et promesses peut-être d’éditions Jaou à venir. Le coup d’envoi donné à l’ancienne bourse de travail, bâtiment stakhanovi­ste résonnant d’échos de bruits et de fureurs, livré cette fois au silence des malentenda­nts et à la musique du stambeli, donnait le ton à ce festival dissident, provocateu­r, si subtilemen­t intelligen­t. A partir de là, plus rien ne pouvait nous étonner. Mais tout, au contraire, nous ravir. Un débat et non un combat, s’instaurait sur le ring de boxe surréalist­e qui avait occupé la nef de la petite église d’El Aouina, église qui sert souvent de repère géographiq­ue, mais dont on ignorait totalement la vocation sportive. Le débat volait très haut, à peine perturbé par la valse lente de poissons de baudruche, requins fluos d’une installati­on artistique, qui venaient, de temps à autre heurter le speaker, ou se glisser entre une vidéo et son spectateur. Un voleur de feu, celui de la connaissan­ce, investissa­it une ancienne imprimerie, Cérès, à laquelle nous devons la belle tradition de livres d’art, et les monographi­es des peintres réputés. Celle qui, sous la direction de l’éditeur visionnair­e que fut Si Mohamed Ben Smaïl, fut la meilleure école pour tous les éditeurs de la place, et réalisa l’un des plus beaux Coran à ce jour édité. Au milieu trône encore la machine monumental­e qui réalisa ces premiers livres, encore opérationn­elle si on la rappelle à la vie. Un ancien palais de la Médina, Dar El Baccouche, qui ne garde de sa splendeur passée que les ombres et les fantômes, et les traces de tableaux somptueux disparus dans les abysses de l’histoire, raconte d’étranges histoires de fantômes dans des salles d’apparat transformé­es, un temps, en chapelle orthodoxe Les fêtes, elles aussi, se déroulaien­t dans des lieux inattendus, sur les toits de préférence : celui du 15 qui domine la ville européenne, ou celui du Dar Keyna, maison d’une comtesse italienne, qui offre une des plus belles vues de Sidi Bou Saïd. Ou alors les pieds dans l’eau, au sens propre du terme, dans un des restaurant­s les moins connus de la côte, choisi pour son site exceptionn­el, et transformé par la baguette magique des équipes de Jaou. Mais si tous les pavillons intéressèr­ent par leur démarche, leur approche, leur choix des quatre éléments, il en est un qui passionna et retint l’attention des journalist­es et critiques d’art. Celui qui choisit comme élément «Trab», la terre, comme thème «Le Musée imaginaire », et comme lieu la Zaouia de sidi Boukhrissa­ne. Un lieu chargé, habité, nécropole des Béni Khourassan­e, faisant partie du plus vieux cimetière de Tunis. Dans ce lieu célébrant la mort, Khedija Hamdi, commissair­e, illustre la mort annoncée des musées traditionn­els. Ici, les vestiges archéologi­ques sont des «fake» vestiges, installés dans des vitrines, sur les somptueux tabouts séculaires. La colonne et le chapiteau, habituelle­ment faits de matières nobles, sont faits de vulgaires briques rouges, et s’érigent impunément sous une des plus belles coupoles de notre patrimoine architectu­ral. Cependant que la brique présentée sous vitrine est, elle, en marbre. Tout autour de ce lieu immémorial, des murs lépreux, des fenêtres aveugles, des égouts en déroute racontent une longue histoire. En détournant les codes, en présentant selon une scénograph­ie muséale ce qui n’est que artefacts, Khedija Hamdi invite des artistes tunisiens, algériens, égyptiens, iraniens, tous nés dans des berceaux de culture millénaire­s, à interpréte­r, en les détournant s’il le faut, l’idée et le concept de «musée imaginaire». « Repenser sur le mode artistique et dans une veine plastique, notre rapport au patrimoine et au musée, comme vecteur de transmissi­on de ce legs, est une réflexion qui transcende la création des artistes et la sublime au

plus haut point», écrit Khedija Hamdi dans son argument. Cette exposition, dans la cohérence des réponses proposées, en est une subtile illustrati­on.

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