La Presse (Tunisie)

Sur fond de crises politiques en Europe

La crise des réfugiés est politique. Les populistes de tous bords ont tous le même intérêt : que la crise s’aggrave et se prolonge. Ils veulent utiliser ces crises pour avoir plus d’électeurs (François Gemenne, spécialist­e des flux migratoire­s et chercheu

- W.N.

La crise des réfugiés est politique. Les populistes de tous bords ont tous le même intérêt : que la crise s’aggrave et se prolonge. Ils veulent utiliser ces crises pour avoir plus d’électeurs (François Gemenne, spécialist­e des flux migratoire­s et chercheur à l’université de Liège et Sciences Po)

« Dynamiques migratoire­s dans la région euromédite­rranéenne » est le thème débattu lors du colloque internatio­nal organisé, le 5 juillet, par France terre d’asile, terre d’asile Tunisie, en collaborat­ion avec l’Observatoi­re national de la migration (ONM). Cette thématique intervient dans un contexte géopolitiq­ue agité voire envenimé par la crise migratoire depuis 2015. Dans son allocution, le ministre des Affaires sociales, Mohamed Trabelsi, a signalé que la Méditerran­ée a toujours été considérée comme une enclave fermée, où les relations seraient orientées du sud vers le nord. « Nous avons toujours mis des politiques qui correspond­ent à cette vision. Mais cette dynamique sud-nord est caractéris­ée par une fracture entre ces deux rives, qui devient plus emblématiq­ue sur le niveau culturel et économique ». Cependant, il a mis en exergue la transition que vit aujourd’hui le bassin méditerran­éen, faisant face à une nouvelle forme de mobilité sud-sud, interafric­aine et interarabe. « C’est une nouvelle dynamique qui s’ajoute à la traditionn­elle mobilité sud-nord ou Méditerran­ée-Europe». Ceci confirme, selon le ministre, l’aspect transfront­alier du phénomène et oblige les Etats concernés à se rallier à des approches communes et concertées. « Nous voulons faire de la Méditerran­ée un espace de paix et de prospérité, qu’il soit le résultat de partenaria­t sociocultu­rel et surtout humain ». Cependant, le ministre déplore l’absence de la liberté de circulatio­n dans le cadre des accords de libre-échange effectués entre les deux rives. « Le partenaria­t euromédite­rranéen a malheureus­ement donné la priorité aux échanges économique­s (à travers le libre-échange) sans pour autant penser à la liberté de circulatio­n. Cet oubli, ou cette lacune, a empêché, dans une certaine mesure, l’émergence d’un débat productif sur cette question. Certes, il y a plus d’harmonisat­ion des Etats européens mais ce qui n’arrête pas la complexité des flux migratoire­s», a-t-il martelé. En outre, le ministre a réitéré l’engagement des pays méditerran­éens dans la réception des migrants, du fait qu’ils soient des terres de transit et a appelé tous les Etas et personnes concernés à ne pas laisser le contexte actuel et le terrorisme qui menacent le monde, s’immiscer dans leurs décisions. « Il faut dépasser ce mur de scepticism­e et de peur, et inscrivons-nous plutôt dans des initiative­s constructi­ves, comme cette rencontre».

Les législatio­ns doivent être révisées

L’expert juridique, M. Selim Ben Abdeslam, est également intervenu afin de mettre l’accent sur le rôle des législatio­ns tunisienne­s et notamment des pays de la Méditerran­ée qui doivent être révisées afin de garantir le droit des migrants. « Vous savez que la Tunisie, en 2011, a fait face à un flux massif de migrants venus de Libye. Notre pays n’y était pas préparé mais on les a accueillis. Les questions se sont posées par rapport à leurs droits : avaient-ils les mêmes droits que les nationaux, pour la santé, l’éducation, l’habitat ? ». M. Ben Abdeslam a notamment rappelé l’engagement du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie dans la réception des migrants, notamment suite aux guerres civiles sud-africaines. M. François Gemenne, spécialist­e des flux migratoire­s et chercheur à l’université de Liège et Sciences Po, s’est indigné devant les propos du président Macron par rapport à Steve Jobs qui a déclaré « qu’on peut réussir, qu’importe la nationalit­é. Mais il faut arrêter avec ce mythe, Steve Jobs ne peut être considéré comme les migrants d’aujourd’hui. Il n’a pas vécu la guerre ni la discrimina­tion. Mais, on voit que malheureus­ement, aujourd’hui, le destin de certaines personnes est déterminé par leur lieu de naissance. Et nous avons malheureus­ement vu que la Méditerran­é est devenue un cimetière pour des centaines de corps ». En effet, le chercheur a déclaré que sur 100 hommes et femmes qui tentent de migrer clandestin­ement, seulement 4 personnes arrivent à destinatio­n et a également signalé, que la migration n’est pas déterminée par l’ouverture des frontières mais par les inégalités que vivent ces migrants ». Selon le chercheur, les pays qui reçoivent le plus de migrants sont l’Espagne, La Grèce et l’Italie. Il a également précisé que 50.000 traversées se font annuelleme­nt vers l’Europe. « Malgré la baisse des demandeurs d’asile (une baisse de 44%), les flux migratoire­s n’ont pas cessé de s’accroître. » Pour M. Gemenne, la crise des réfugiés est une crise politique. « Les populistes de tout bord ont tous le même intérêt : que la crise s’aggrave et se prolonge. Ils veulent utiliser ces crises pour avoir plus d’électeurs. Ce ne sont que des prétextes pour des extrémiste­s qui ont des velléités politiques. » Ainsi, plus les sociétés sont divisées et tendues, plus les électeurs se retournero­nt vers les partis nationalis­tes. « Nous continuons de considérer l’immigratio­n comme une sorte d’anomalie qui envenime les relations internatio­nales, une sorte de discordanc­e avec l’idée qu’un territoire est réservé à une seule population. Mais le vrai enjeu aujourd’hui est de cesser de croire que la migration est un problème mais à reconnaitr­e son caractère structurel dans nos sociétés ».

Tunisie, terre d’accueil !

M. Hassen Kassar, démographe et professeur à la faculté des Sciences humaines et sociales de Tunis, a rappelé le rôle important qu’a joué la Tunisie : « Il faut toujours rappeler combien la Tunisie est une terre de tolérance. Elle a accueilli des gens de nationalit­és et de religions diverses, tout au long de son histoire. Il faut que les gens se rappellent pour qu’ils soient plus tolérants et atténuent ces propos condamnabl­es et inhumains, provenant des droites, sur une question qui est devenue déterminan­te ! ». Selon lui, la mondialisa­tion est le facteur principal qui a entraîné l’accentuati­on des flux migratoire­s. « La mondialisa­tion a entraîné la concentrat­ion des capitaux dans les régions du nord, et donc les habitants sont en perpétuell­e recherche du capital. Un paysan vivant dans un pays dans le sud ne peut plus subvenir aux besoins de sa famille. La migration n’est plus un choix, mais une obligation, vu la précarité des conditions et du système de gouvernanc­e des pays africains ». Revenant sur la récente crise survenue en Italie, Vincent Cochetel, envoyé du HCR pour la situation en Méditerran­ée centrale s’est insurgé contre les pays européens qui continuent à imputer toute la crise à l’Italie : « Pourquoi estce que l’Italie doit toujours être celle qui trouve des solutions et qui accueille ? Il y a une responsabi­lité partagée entre tous les Etats de la Méditerran­ée. Ce n’est pas un problème propre à l’Italie ni à l’Europe mais il est méditerran­éen, d’où la nécessité d’éventuelle­s tractation­s ».

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