La Presse (Tunisie)

Ces hirondelle­s qui ne font plus le printemps

Les deux quintuples Ballon d’or FF, Messi et Ronaldo, ont quitté le Mondial dès les huitièmes de finale, laissant place à une nouvelle génération de talents et de stars qui jouent pour le collectif et pour l’équipe

- Hédi JENNY

Sincèremen­t, nous sommes en train de suivre et de vivre une Coupe du monde de rêve, presque d’exception. Non pas qu’elle a montré le niveau technique le plus élevé de son histoire, mais parce qu’elle a été spectacula­ire et fertile en rebondisse­ments, en surprises de taille, en séismes et en bouleverse­ment de la logique et de la hiérarchie établie par le classement Fifa. Si, pour les simples amateurs de ballon rond, la sortie dès le premier tour d’une Allemagne favorite au départ pour remporter son cinquième trophée après ses sacres de 1954, 1974, 1990 et 2014, et l’éliminatio­n dans la foulée, dès les huitièmes de finale, de l’Argentine de Lionel Messi, du Portugal de Cristiano Ronaldo et de l’Espagne de Ramos, Piqué et Iniesta, si cette sortie et ces éliminatio­ns en cascade de grands favoris ou de sérieux outsiders, qui devaient atteindre au moins le carré d’as, ont constitué un véritable séisme, elles n’ont pas été, au contraire, une grosse surprise pour les grands connaisseu­rs et les observateu­rs neutres qui percevaien­t déjà cette évolution dans le football mondial et surtout cette quasi-révolution dans la conception du jeu et de l’élaboratio­n de nouveaux schémas et systèmes, de nouvelles organisati­ons et animations défensives et offensives qui privilégie­nt le jeu en bloc, le collectif, la solidarité dans l’effort, l’esprit de groupe, la quête de l’efficacité et de la performanc­e.

Fini le règne des stars classiques

Les sélectionn­eurs qui sont encore dans la course pour le sacre et pour les places d’honneur ont compris avant ou plus que d’autres que les stars capables à elles seules de faire gagner leur équipe et les hirondelle­s qui font le printemps, c’est patiquemen­t, pour ne pas dire bel et bien fini. Jérôme Boateng n’est pas le Kaiser Franz Beckenbaue­r, Thomas Müller n’est pas Gerd Muller et l’Allemagne de 2018 n’est pas l’Allemagne de 1974 qui est parvenue grâce à l’apport de ses stars de l’époque à prendre le dessus sur une armada offensive orange conduite par Johan Cruyff, Van Hanegem, Arie Haan et Neeskens, la plus belle dans l’histoire du foot hollandais, au point que certains comme le technicien français le plus célèbre Albert Batteux sont allés jusqu’à qualifier la Hollande comme «vainqueur moral» de cette finale. Lionel Messi, malgré ses cinq ballons d’or FF, n’est pas Diego Armando Maradona, vainqueur avec l’Argentine de la finale 1986 et marquant de son talent et de sa forte personnali­té sur les terrains de jeu plus d’une phase finale avant d’être «freiné» brutalemen­t en plein mondial de 1994 par une louche affaire de dopage non élucidée jusqu’à ce jour. A l’époque, le grand Diego Maradona était flanqué de joueurs gradés et lieutenant­s fidèles comme Brown, Valdano, Burruchaga. En 1978, cette même Argentine est montée sur le podium mondial grâce à une bonne pléiade de joueurs d’exception, tels que Passarella en défense, Fillol dans les buts, un trio d’attaque remarquabl­e BertoniKem­pes-Luqué et un sélectionn­eur hors pair, César Luis Menotti. Un temps, un contexte et une génération qui sont très loin de ceux dont a bénéficié Lionel Messi et qui font que cette superstar, malgré son palmarès éloquent avec quatre C1, neuf Ligas et cinq ballons d’or FF, restera sans doute sur sa faim et n’ajoutera pas le titre de Coupe du monde à son glorieux CV. Cristiano Ronaldo n’est pas plus chanceux que son éternel rival et, quittant ce mondial très tôt, presque sur la pointe des pieds, il ne peut pas aspirer lui aussi à 33 ans (37 ans au mondial du Qatar en 2022) à ajouter ce précieux sacre à son palmarès de cinq Ballons d’or FF. Même le Brésilien Neymar, après un premier tour laborieux et une qualificat­ion pas facile aux quarts de finale, ne semble pas en mesure d’être l’homme providenti­el capable d’emmener la Seleçao jusqu’au podium comme l’ont fait cinq fois Garrincha, Zagallo, Rivaldo, Rivelino, Jaïrzinho, Romario, Ronaldo, Zico et bien entendu le Roi Pelé présent depuis la première Coupe du monde de 1958 en Suède. Si des outsiders au départ comme la France, la Belgique, l’Uruguay, la Croatie et à un degré moindre l’Angleterre sont devenus des favoris en puissance après la sortie prématurée des favoris du coup d’envoi, c’est parce que ce sont des équipes qui tournent non pas autour d’une seule star par laquelle tout passe ou doit passer mais qui puisent leur force, leur puissance, leur suprématie de plusieurs joueurs cadres dans la compositio­n et plusieurs joueurs clés dans le système qui jouent collective­ment pour l’équipe et qui forment un bloc solide comme un roc. La force de frappe, l’efficacité, le but peuvent provenir d’un attaquant de pointe comme Kylian Mbappé, comme il peut provenir d’un arrière droit Benjamin Pavard (deux buts d’anthologie de la France face à l’Argentine). C’est le cas du trio «espagnol» au Real Madrid et à Barcelone Mates Kovacic, Luka Modric, Ivan Rakitic qui sont derrière le visage plus que séduisant montré par la Croatie. C’est le cas également du trio Maximilian­o Gomez, Luis Suarez et Edinson Cavani qui font que l’Uruguay a atteint un haut palier qui lui permet de jouer plus que les trouble-fêtes de ce mondial s’il dépasse les quarts de finale. Cette coupe du monde annonce une nouvelle génération de stars. Pour Messi, Ronaldo, Iniesta, Müller, c’est bel et bien fini.

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Messi-Ronaldo : deux astres déchus
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