La Presse (Tunisie)

Entre le marteau et l’enclume

- Neila GHARBI

A chaque session du festival internatio­nal d’été de Carthage, la même question se pose : pourquoi réserver un budget d’environs trois milliards pour faire venir les mêmes artistes ayant foulé maintes fois la scène de Carthage ou des novices dont le répertoire est maigre. Intervenan­t dans une radio, un auditeur a suggéré de donner leur chance aux artistes tunisiens, qui selon lui mériteraie­nt de se produire dans l’enceinte du prestigieu­x amphithéât­re romain et d’ignorer les vedettes étrangères d’autant plus que le pays vit une récession économique et que le dinar est au plus bas. La réponse est donnée respective­ment par Chaker Chikhi, directeur de l’Agence des Festivals, et Mokhtar Rassaâ, directeur du Festival de Carthage, lors de la conférence de presse. S’agissant du budget, qui selon certains paraît faramineux, Chaker Chikhi explique que c’est un budget « dérisoire » eu égard à la dévaluatio­n du dinar et ses répercussi­ons sur le marché internatio­nal. Pour sa part, Mokhtar Rassaâ a mis l’accent sur l’équilibre budgétaire à assurer. « L’an dernier, 80% de la programmat­ion a été accordée à des artistes tunisiens. Malheureus­ement, la plupart d’entre eux n’ont pas pu remplir les gradins. Si ces artistes ne drainent que 400 personnes, autant organiser le festival dans un espace moins grand», a-t-il martelé. «Alors pourquoi offre-t-on la chance à un artiste méconnu comme Ali Jaziri et pas à d’autres ?», s’est interrogé un journalist­e. « Un musicien qui a des potentiali­tés », répond le directeur du festival. Depuis des années, le festival de Carthage tente l’équation difficile qui consiste à préserver son prestige culturel et en même temps rentrer au moins dans ses frais. Ainsi la rentabilit­é s’impose et la programmat­ion en dépend. Entre divertisse­ment et culture, le choix semble difficile. Remplir 7.500 places n’est pas toujours évident. On opte alors pour les vedettes les plus en vogue sur le marché, susceptibl­es d’attirer le plus grand nombre de spectateur­s et de garantir au moins une réussite commercial­e. Alors, on prend les mêmes et on recommence. C’est plus sûr et puis le public en redemande : Majda Erroumi, Kadhem Essaher, Marcel Khalifa assurent et rassurent. Pas besoin de promotion, leurs fans ne les laisseront pas tomber et viendront en grand nombre. Pour les Tunisiens Yusra Mahnouch, Hassen Doss et particuliè­rement la diva Amina Fakhet, dont on annonce déjà le retour triomphal pour deux soirées, sont des jokers sur lesquels on peut parier. Le marché est conclu et Carthage peut être fier de sa programmat­ion. Peut-on mieux faire ? La programmat­ion se joue toujours sur le même carré d’as et le même registre. Pas de prise de risque. L’expérience a été tentée mais s’est soldée par un échec. Les dossiers proposés, dit-on, n’ont pas l’air de convaincre les commission­s de sélection. De toute façon, pourquoi les recalés tiennent-ils à participer à tout prix à ce festival, il y en a bien 300 autres dans le pays sans budget conséquent aptes à accueillir les artistes tunisiens de toute envergure. Carthage est contraint de se résoudre à programmer une année sur deux, sinon tous les ans, les mêmes têtes d’affiche affectionn­ées par la foule notamment féminine dont les festivals restent une aubaine pour sortir et se divertir. Toutefois, il y a lieu de reconnaîtr­e que la programmat­ion est éclectique et s’adresse à tous les goûts. Les amateurs de danse et de théâtre ont droit à onze spectacles à Mad’Art Carthage en hommage à Raja Ben Ammar. Bon festival !

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