La Presse (Tunisie)

Candidate à titre posthume

-

La réponse à vos questions me paraît à la fois facile et difficile, car je dois traduire les idées de ma mère. Aussi vais-je réponde en me basant sur ses écrits de «Parole de Femme» pour transcrire fidèlement sa réponse. A votre première question, je réponds par l’affirmativ­e, car Radhia Haddad était avide de connaissan­ce et de savoir. Elle lisait beaucoup, et ce, depuis son jeune âge jusqu’à la fin de ses jours. Pendant sa retraite, pour se procurer les derniers livres parus, elle se rendait de façon assidue à la foire du livre. Elle assistait à la signature de livres, qui à l’époque se faisaient rares. En outre, sa fierté était grande, quand elle parlait de la femme tunisienne et de la place qu’elle a occupée tout au long de son Histoire. Elle a rendu hommage à Didon en nommant sa société d’édition, créée dans les années 80 : «Editions Elyssa». Contrainte de quitter l’école à l’âge de 12 ans, pour des considérat­ions de tradition de familles tunisoises de l’époque, elle s’est repliée dans la lecture. A la page 83, dans «Parole de Femme», elle écrit : «Ma soif de connaissan­ce restait très grande. Ce n’était pas les cours d’arabe scolastiqu­e, que me prodiguait un instituteu­r à domicile, qui pouvaient l’assouvir. Je me plongeais avec avidité dans les journaux que rapportait mon père, et les quelques livres qui me tombaient sous la main, etc. Cet hommage représente en fait une récompense à l’ensemble des femmes de l’UNFT (Union Nationale des Femmes de Tunisie) des années 60, qui ont accompagné Radhia Haddad dans ses actions et qui ont fait un travail titanesque, avec abnégation, en faveur de l’émancipati­on de la Femme Tunisienne. Quand Radhia Haddad parle de ces femmes et d’elle-même, elle dit à la page 182, «Avec le recul du temps, ce qui me paraît la plus grande réussite de l’UNFT pendant les quinze ans que j’y ai passés, c’est cette dynamique, cet enthousias­me qu’elle a su insuffler à des femmes qui jamais auparavant n’avaient exercé d’activités publiques. Ces femmes ont donné le meilleur de leur temps et de leur jeunesse pour servir leur pays, pour propager les idées de progrès et de justice, pour lutter contre la misère et l’ignorance. C’est leur contributi­on, anonyme et pacifique, qui a ouvert la voie aux profondes mutations qu’a connues la société tunisienne, en l’espace de quelques années». Dans cet ordre d’idée, elle ajoute à la page 185 : «Nous nous considério­ns comme des militantes au service d’une grande cause, qui était l’émancipati­on des Tunisienne­s. Qu’à ce moment de notre histoire, cette cause ait été identifiée à un homme, et qu’elle ait été prise en charge par le parti au pouvoir, ne diminue en rien celles qui l’ont servie». L’encouragem­ent à la promotion de l’accès des femmes à la formation et aux responsabi­lités profession­nelles, incarné par le Prix Fatima Fihrya, a été une des orientatio­ns menée par Radhia Haddad à la tête de l’UNFT. Page 148 : «La priorité des priorités était de mettre la femme en mesure de bénéficier pleinement de ses droits à l’enseigneme­nt et au travail. N’était-ce pas son ignorance qui avait fait d’elle un être mineur, et son incapacité à assurer son indépendan­ce matérielle, qui en avait fait une esclave ? Le droit à l’enseigneme­nt revêtait deux aspects différents, qui étaient la lutte contre l’analphabét­isme, d’une part, et la scolarisat­ion des filles, d’autre part, etc.» Page 156 : «La stratégie de l’UNFT en faveur de l’alphabétis­ation et de la scolarisat­ion a très vite porté ses fruits, même si ce n’est qu’en 1994, soit quelque trente ans plus tard, qu’elle a été primée par l’Unesco». En 1956, l’emploi des femmes n’était pas une priorité pour le gouverneme­nt, qui était plutôt préoccupé par le chômage masculin, et elle en parle à la page 157. «A côté de ce premier obstacle, d’ordre politique et idéologiqu­e, le travail des femmes se heurtait à leur absence de qualificat­ion. C’est sur ces deux tableaux à la fois qu’a agi l’UNFT, pour réussir en peu de temps à imposer le travail féminin comme une nécessité économique, et comme un droit irréversib­le. Nous avions commencé modestemen­t avec une école de formation de dactylogra­phes à El Ouardia. Puis, l’effort de formation a été orienté vers les secteurs des métiers artisanaux et du textile dans un premier temps, et par la suite, vers l’industrie». Les centres créés dès 1958, soit par l’UNFT, soit sur son initiative, en matière de formation de maind’oeuvre dans plusieurs domaines ont lutté directemen­t contre le chômage féminin et ont permis à élever le niveau général de la main-d’oeuvre. En parallèle, des petites et moyennes entreprise­s dirigées par des femmes ont vu le jour : des dizaines d’ateliers de couture et d’artisanat disséminés dans tout le pays et ce, grâce au rôle de «banque de projets» joué par l’UNFT. Je pense que tous ces projets réalisés par une équipe de femmes dirigée par Radhia Haddad se retrouvent dans le sens des valeurs prônées par le prix Fatima Fihrya. L’oeuvre de Fatima Fihrya a commencé par la constructi­on de la mosquée El-Quaraouiyi­n, où a pris naissance un pôle religieux et culturel et qui par la suite a fait fonction d’Université produisant de grands penseurs, théologien­s, philosophe­s ou astronomes et se poursuit à ce jour dans cette Université, la plus ancienne dans le monde. A l’image de Fatima Fihrya, Radhia Haddad a édifié les bases de l’émancipati­on des femmes qui ont finalement passé avec succès l’épreuve du temps. Les attaques qu’elles ont subies après la révolution de 2011 n’ont fait que les renforcer. J’espère que j’ai été au plus près possible de la pensée et des idées de Radhia Haddad.

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia