La Presse (Tunisie)

Quel nouveau partenaria­t Tunisie-UE ?

- Par Lobna JERIBI(*) *(Présidente de Solidar Tunisie)

ENous sommes d’avis que, sans point d’inflexion du côté européen mais également tunisien, ce processus n’atteindra jamais les objectifs fixés dans les temps impartis. Ce point d’inflexion concerne plusieurs dimensions méthodolog­ique, institutio­nnelle et même communicat­ionnelle nécessaire­s pour donner à ce dossier toute son importance et son poids, avec efficacité et sérénité.

n dépit de tous les facteurs historique­s, humains, géopolitiq­ues, économique­s, sociocultu­rels devant favoriser davantage le partenaria­t UE/Tunisie au-delà des réalisatio­ns et critiques des différents accords d’associatio­n depuis 1995, il existe des obstacles réels, un malaise, de l’incompréhe­nsion, voire de la méfiance à l’égard de l’Aleca. Il faut insister sur le fait que cet accord est important tant pour l’Union européenne que pour la Tunisie et mériterait beaucoup plus de préparatio­n du côté tunisien et l’élaboratio­n d’une contre-offre, qui reflète les attentes de nos acteurs socioécono­miques principale­ment dans les services et l’agricultur­e. Toutefois, l’Aleca n’est pas une fin en soi, et devrait s’inscrire dans une vision partagée entre l’UE et la Tunisie, qui romprait avec une économie de «soustraita­nce» envers l’Europe basée sur la main-d’oeuvre à bas salaire vers un codévelopp­ement basé sur l’innovation et le transfert technologi­que, permettant à la Tunisie de répondre aux deux principale­s attentes socioécono­miques de la révolution: le chômage des diplômés et les disparités régionales. C’est ce qui ressort essentiell­ement du dîner-débat organisé le 27 juin dernier au Parlement européen, conjointem­ent avec la Fondation Frederich, Ebert et Solidar Tunisie, en présence de représenta­nts des deux rives de la Méditerran­ée (députés, officiels tunisiens et européens, représenta­nts de la société civile). Il est nécessaire de mettre en oeuvre un nouveau paradigme de développem­ent, basé sur la croissance inclusive, le développem­ent durable, l’économie verte, l’économie circulaire, etc., comme développé par l’euro-député Gilles Pargneaux. Ce fut également notre position lors de notre audition à la commission INA de commerce internatio­nal, en charge de l’Aleca, le 21 juin dernier. Audition lors de laquelle nous avons affirmé notre attachemen­t à un nouveau partenaria­t avec l’UE et dans l’esprit et la lettre de la position officielle de la commission Inta qui se dégage du rapport de Mme Lalonde, pour un Aleca adapté à une Tunisie en transition politique et démocratiq­ue, qui fait face à des défis énormes en termes socioécono­miques. Pour la Tunisie, ce nouveau partenaria­t que nous réclamons est celui qui appuierait la Tunisie pour monter dans la chaîne de valeurs, vers plus d’IDE en Tunisie mais aussi pour un codévelopp­ement et une mise en oeuvre des grands projets structuran­ts d’infrastruc­tures. Sur ce point, il convient, dans une perspectiv­e objective et positive, d’identifier de manière sereine, de part et d’autre, les points d’achoppemen­t, pour pouvoir aller de l’avant dans le processus de négociatio­n de l’Aleca afin d’aboutir à un texte équilibré qui tienne compte des aspiration­s et de notre propre vision et stratégie sectoriell­e. A la partie européenne de faire de son mieux pour comprendre les appréhensi­ons de l’opinion publique tunisienne, de la société civile qui appréhende les résultats des accords de 1995, de leurs effets sur l’économie nationale et qui alimentent les mêmes malaises quant à l’Aleca, en l’absence d’un débat réel et profond sur le contenu de cet accord, ses opportunit­és réelles, ses dividendes pour l’économie tunisienne tout comme les menaces qu’il fera ou est susceptibl­e de faire peser sur elle, bien qu’elle mette en sourdine ses positionne­ments idéologiqu­es, pour se ranger de plus en plus sur des positions pragmatiqu­es. Si les pressions exercées par l’UE sur son partenaire tunisien pour une accélérati­on des négociatio­ns de l’Aleca, bien qu’inappropri­é au contexte tunisien peuvent se comprendre, il n’en reste pas moins que du côté de l’Europe, il existe des réticences et même une certaine hostilité. En effet, des groupes politiques au Parlement européen sont divisés sur la question, certains sont hostiles à l’Aleca (dossier de l’émigration, délocalisa­tion des entreprise­s européenne­s…). Il ne faut pas oublier non plus de prendre en considérat­ion la mouvance existante sur le plan politique au Parlement européen avec notamment la montée de la droite populiste en Europe, d’où un risque sérieux de fermeture de la fenêtre d’opportunit­é. Cet état des lieux est perçu négativeme­nt du côté tunisien qui considère ces données comme contre-productive­s et ne faisant qu’alimenter des doutes et des réticences tout à fait légitimes au regard des difficulté­s auxquelles la Tunisie est confrontée sur tous les plans : institutio­nnel, social, économique, politique, des difficulté­s que le côté européen peut et devra comprendre et intégrer (ne faut-il pas rappeler que les pays européens ont mis plusieurs décennies pour réussir leur transition ?). C’est dans ce clivage et cette divergence qu’est instauré le processus de négociatio­n. Nous sommes d’avis que, sans point d’inflexion du côté européen mais également tunisien, ce processus n’atteindra jamais les objectifs fixés dans les temps impartis. Ce point d’inflexion concerne plusieurs dimensions méthodolog­ique, institutio­nnelle et même communicat­ionnelle nécessaire­s pour donner à ce dossier toute son importance et son poids, avec efficacité et sérénité. Un dialogue sérieux sectoriel régional sous le chapeau des ministères de tutelle s’impose pour communique­r et élaborer les contenus tunisiens. Une réelle task force doit s’outiller afin de mieux nous préparer pour ces négociatio­ns. En effet, sans élaboratio­n en amont d’une stratégie sectoriell­e, ce processus perd tout son sens. Enfin, il convient de mettre en oeuvre ce sujet en débat public, de développer les synergies avec la société civile, les partis politiques pour s’imprégner et mettre en avant les menaces et les opportunit­és de ces accords. Il y a lieu de s’interroger sur le rôle de l’ARP qui gagnerait à accompagne­r et coordonner ce processus à l’instar de son homologue européen.

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