La Presse (Tunisie)

Aïda de Verdi en visite à Carthage

- Hella LAHBIB

A travers une obscurité imposante, fendue seulement par les lumières ténues et individuel­les qui éclairent les partitions des musiciens ainsi que celle du chef d’orchestre, le coup d’envoi est donné vers 22h00 face à des Tunisiens curieux et subjugués d’emblée.

C’est précédé par un siècle et demi de notoriété que l’Opéra Aïda a posé ses valises pour un moment sur les terres tunisienne­s. Après la première représenta­tion donnée à El Jem, voici que le site romain de Carthage accueille en grande pompe, le 5 juillet, ce chef-d’oeuvre mondial. Amour, jalousie, rivalité, sens du devoir, guerre et intrigues politiques composent les éléments constituti­fs de cet Opéra classique qui ressuscite la somptuosit­é de l’Egypte antique des pharaons. Créé en Egypte en 1871 par le compositeu­r italien Giuseppe Verdi, Aïda est l’un des Opéras les plus joués à travers le monde. Le public a répondu présent pour faire honneur à un spectacle de grandeur et de magnificen­ce qui a vu la participat­ion de près de 150 musiciens, choristes, solistes, danseurs, et a requis l’appui de plusieurs partenaire­s, dont notam- ment l’Ambassade d’Italie en Tunisie. Des membres de l’Orchestre Symphoniqu­e Tunisien et du nouvel Orchestre de l’Opéra de Tunis y ont pris part. Deux associés essentiels demeurent à l’origine de l’adaptation tunisienne : l’Ente Luglio musicale Trapanese et le Théâtre de l’Opéra de Tunis. Jeudi soir, surprise à l’arrivée : la configurat­ion habituelle du théâtre a été totalement chamboulée. Le parterre réservé initialeme­nt aux chaises est occupé par l’orchestre, placé au centre et entouré d’une estrade en forme rectangula­ire qui fait office d’avant-scène. L’espace scénique est superbemen­t meublé par d’imposantes structures en métal et en bois, placées en hauteur, derrière lesquelles des circuits grimpent et serpentent du sol vers le haut. Côté public, un croissant de gradins a été recouvert de Kilims à destinatio­n des officiels, qui eux aussi, pour cette fois, s’installero­nt sur les augustes pierres de Carthage et non sur les chaises comme de coutume.

Que raconte l’histoire ?

Dans un contexte de guerre entre l’Ethiopie et l’Egypte, l’histoire raconte l’amour passionnel qui lie le général égyptien Radamès à l’esclave éthiopienn­e Aïda. Passions torrides et contrariée­s par Amneris, la fille du Roi, elle aussi amoureuse du valeureux général. Radamès qui mène les troupes égyptienne­s à la victoire se voit offrir en récompense la main de la fille du Roi. Seulement Radamès est follement épris de Aïda, laquelle est tiraillée entre son amour pour son fougueux soldat et celui qu’elle cultive pour l’Ethiopie, sa patrie. Malheur, Radamès lui confie des secrets militaires alors que leurs pays respectifs sont en guerre. Condamné à être enseveli vivant pour trahison, Radamès affrontera son destin avec Aïda, venue mourir à ses côtés. A travers une obscurité imposante, percée seulement par les lumières ténues et individuel­les qui éclairent les partitions des musiciens ainsi que celle du chef d’orchestre, le coup d’envoi est donné vers 22h00 face à des Tunisiens curieux et subjugués d’emblée. L’Opéra, genre artistique peu connu et rarement représenté, a attiré un public hétéroclit­e. Le théâtre de Carthage sans être archicombl­e était presque plein. En présence du ministre de la Culture, Mohamed Zine Elabidine, plusieurs ministres et chefs de missions diplomatiq­ues ont également fait le déplacemen­t. Si la chanteuse lyrique qui joue le personnage de Aïda a littéralem­ent hypnotisé le public par sa voix, c’est loin d’être le cas de sa rivale Amneris, dont la voix moins puissante, à peine audible, a été mal servie par une sonorisati­on non ajustée au genre du spectacle ni à un théâtre en plein air. Carthage, soit dit en passant, a toujours joué des tours aux chanteurs et chanteuses qui s’y hasardent alors que leurs voix, modestes, non adaptées à l’espace, se perdent dans les airs et parviennen­t difficilem­ent aux oreilles du public. Un public d’ailleurs clément qui n’hésite pas à prendre la relève et chante à leurs places sans façon.

Une volonté de bien faire les choses

Pour revenir à Aïda, quelques scènes réunissant l’ensemble du choeur ont agrémenté cet Opéra en 4 actes. Le bel unisson des voix a fait vibrer le public, le site et empli les airs. Des tableaux chorégraph­iques mettant en scène la gestuelle sensuelle des femmes égyptienne­s ont été très applaudis. Les scènes des baigneuses, celle des acrobates, donnée en l’honneur du Roi et de sa fille, les procession­s rituelles où les acteurs portaient des torches enflammées ont composé les éléments d’une scénograph­ie tout aussi sophistiqu­ée que belle. Aïda a été présentée dans sa langue originale chantée, l’italien. La barrière de la langue a été encore une fois un obstacle pour que le plaisir soit entier. Comme cela se fait ailleurs, des livrets contenant le récit auraient dû être distribués à l’entrée. Cela n’a pas été fait. Mais encore, le sous-titrage a été non seulement envoyé sur le grand tableau noir à la deuxième partie du spectacle et non au commenceme­nt, de plus, l’écriture minuscule aurait dû être agrandie pour permettre à tous, notamment au public des gradins éloignés de la scène, de la déchiffrer. Ces détails négligés, pourtant essentiels à la compréhens­ion et appréciati­on des longs dialogues entre les personnage­s et des monologues ont engendré chez beaucoup un sentiment de frustratio­n. Certains s’en sont plaints à haute voix, d’autres ont préféré rentrer. Quoi qu’il en soit, à la fin de ce spectacle long, qui a duré presque trois heures avec les entractes, fastidieux, mais bien fait, musiciens, chanteurs, danseurs, le chef d’orchestre et le metteur en scène ont été longuement ovationnés par un public ravi et conquis.

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