Pour la liberté des arts
L’art et la création, dans l’absolu, ne peuvent s’épanouir, se développer et s’affirmer que dans un climat de libertés individuelles et sociales, l’art représentant l’exercice de la liberté par excellence. Qu’en est-il chez nous et que faire pour garantir la liberté des arts? Le rapport de la Colibe (Commission des libertés individuelles et de l’égalité), présenté le 12 juin, s’est, justement, focalisé, entre autres libertés, sur «La liberté des arts» en présentant des propositions et des recommandations à cette fin. Cela en s’imprégnant de
Que les artistes, les créateurs et les intellectuels de tous bords sortent de leur silence en participant au débat !
l’esprit de la Constitution du 27 janvier 2014, ainsi que de diverses conventions internationales dont celle des droits de l’Homme. Mais les propositions sur la liberté des arts sont passées quasi inaperçues n’ayant pratiquement pas attiré l’attention ni des médias, ni des citoyens, ni des artistes eux-mêmes, comme cela a été le cas concernant l’abolition de la peine de mort, l’égalité dans l’héritage et autres qui ont généré des réactions opposées entre adhésion et rejet total. Or, dans le premier volet du rapport de la Colibe (titre 2) consacré aux droits et aux libertés individuelles, il est spécifié dans le chapitre 12 que «les arts sont libres» et que par conséquent «il est interdit à quiconque, individus ou groupes, de s’attaquer à la liberté des arts, de la museler, l’entraver ou l’annihiler, de quelque manière que ce soit et sous aucun prétexte qu’il soit politique, idéologique, moral ou religieux» (articles 78 et 79). Dans les articles 80 et 81, il est notifié notamment que «la liberté de la pratique des métiers artistiques est garantie et que les oeuvres artistiques ne peuvent être soumises à aucune autorisation préalable ou contraintes de quelque ordre que ce soit, sauf dans le cadre des garanties constitutionnelles». Cette liberté étant acquise aussi bien aux Tunisiens qu’aux étrangers. Dans la partie consacrée aux jugements juridiques, le rapport recommande, afin de protéger les droits et les libertés, la criminalisation de l’atteinte aux libertés des arts et des sciences. Cela en proposant une peine de prison de 2 ans et une amende de 10.000 dinars, outre la privation du droit de vote et du droit d’exercer une fonction publique pour quiconque entrave ou tente d’entraver la liberté de création littéraire et artistique, la recherche scientifique et s’attaque aux oeuvres artistiques, littéraires et scientifiques et à leur présentation, diffusion et publication. Ces sanctions seront doublées en cas d’utilisation de menaces, d’agressions physiques et de violence. Enfin, quiconque s’attaque volontairement à la liberté de création littéraire et artistique et à la recherche scientifique, détruit ou tente de détruire les oeuvres artistiques, littéraires et scientifiques, est passible de 5 ans de prison et 20.000 dinars d’amende, outre l’interdiction du droit de vote et le droit d’exercer une fonction publique, sans que cela n’exclue les sanctions relatives à l’atteinte de la propriété privée. Le rapport recommande, également, la suppression du contrôle des productions artistiques ainsi que la libération des métiers artistiques. Ces recommandations et propositions, fruits d’une vision consacrant la liberté de création et des arts dans une société démocratique et moderne, auraient dû et devraient normalement interpeller artistes, créateurs, hommes de lettres et autres chercheurs et intellectuels tant elles contribuent à susciter la réflexion et le débat sur la question des arts et de la liberté. Les arts peuvent-ils exister et se développer sans liberté et à l’ombre de contraintes politiques, idéologiques, religieuses, morales et/ou sociales? Peut-on appeler oeuvres artistiques ou littéraires des productions réalisées sous la contrainte, la compromission, l’arrangement ou la conciliation? Bref, voilà qui nous invite à la réflexion et au débat sur le statut du créateur et sur la place de l’artiste et des créateurs dans la société. Mais les principaux concernés, entre créateurs et artistes, n’ont visiblement pas encore, dans leur majorité, lu ce rapport vu le silence radio et l’absence de réactions de leur part, notamment concernant les propositions relatives à la liberté des arts. Certains artistes et créateurs ont réagi en signant le manifeste de soutien à la commission, lancé sur les réseaux sociaux. Un soutien contre les semeurs de haine et les adeptes de la division et de la lapidation qui ont rejeté le rapport sans en avoir lu un traître mot. Mais prendre position, en soutenant les membres de la Colibe ainsi que sa présidente Bochra Belhaj Hamida, est-il suffisant ? Car il demeure tout aussi important de réagir sur le fond en créant le débat autour de la liberté des arts d’autant que toute révolution doit s’accompagner d’une révolution culturelle. C’est pourquoi on aimerait que les voix des artistes créateurs et l’élite intellectuelle dominent celles des colporteurs de rumeurs, des propagandistes et autres fanatiques et «takfiristes qui usent de la désinformation avec, pour seuls arguments, la menace et l’appel à la lapidation, loin de tout débat serein et pondéré». Or, la présidente de la Colibe a été on ne peut plus claire dans une récente déclaration à une radio privée, en affirmant «que les recommandations de la Colibe peuvent être retenues ou pas par le président de la République, car le but est de susciter un débat de haut niveau permettant aux Tunisiens de discuter et de prendre conscience des libertés individuelles et de l’égalité». Ajoutant «qu’il s’agit là d’un processus qui peut durer une dizaine d’années». Alors que, les artistes, les créateurs et les intellectuels de tous bords sortent de leur silence en participant au débat et à ce processus par la réflexion et le débat tant sur la liberté des arts, en particulier, que sur les libertés individuelles et l’égalité en général !