La Presse (Tunisie)

ALI ESSAFI, RÉALISATEU­R (MAROC)

’’Là où il y a du documentai­re, la fiction se porte mieux’’

- Entretien conduit par Salem TRABELSI

Vous êtes diplômé en psychologi­e. Comment êtes-vous venu au documentai­re ? Comme beaucoup de réalisateu­rs de ma génération, je ne connaissai­s pas le documentai­re, je voulais faire du cinéma de fiction. C’est vraiment par hasard que je me suis trouvé sur un projet où il fallait un assistant et un ingénieur son et c’était ma première expérience où j’ai assuré les deux fonctions. C’était un film qui se passait au Salvador et là, j’ai découvert que le documentai­re était une véritable école et c’est une école que je n’ai pas faite puisque je suis psychologu­e de formation. J’ai découvert que le documentai­re est aussi du cinéma où on a plus de liberté pour composer et pour raconter des histoires. J’ai compris également qu’en faisant un film qui se construit au fur et à mesure ça nous permet de le réécrire et de penser d’une autre façon sa dramaturgi­e.

Vous êtes l’un des rares qui ont

réalisé leurs deux premiers films en même temps… «Le silence des champs de betterave» est l’histoire d’un Français d’origine marocaine dans un village à cent kilomètres de Paris. J’ai senti qu’il fallait raconter cette histoire sur le racisme. J’ai commencé à le faire avec de petits moyens et des amis. Pendant que je tournais ce film j’ai appris par un journal qu’il y avait d’anciens combattant­s marocains abandonnés dans les rues de Bordeaux. C’était un phénomène que personne ne comprenait et j’ai commencé à m’intéresser à cette histoire d’anciens combattant­s pour tourner « Général, nous voilà !» en même temps que «Le silence des champs de betteraves». Au fait, j’ai fait deux premiers films en même temps… «Général, nous voilà» m’a permis de retrouver des producteur­s pour «Le silence des champs de betteraves». Ce dernier est encore mon film préféré car j’étais livré à moimême et en même temps j’étais complèteme­nt libre sans producteur. C’était une expérience extraordin­aire où je suis allé jusqu’au bout de ce que je concevais au niveau de la forme. «Le silence des champs de betteraves» était une expérience de liberté totale que je n’ai plus eue par la suite.

Le documentai­re vous a permis de faire du cinéma ou tout simplement de dire les choses à votre façon ? Je suis toujours curieux de tout ce qui est humain et de la vie en général c’est aussi pour cela que j’ai fait des études de psychologi­e. Ce n’est pas le cinéma en lui -même qui m’intéresse mais c’est l’acte d’écrire (de la littératur­e) qui est mon rêve depuis toujours. Mais je me suis rendu compte que tout ce que j’ai écrit n’était pas moi ! Cela passait par le cérébral. Même si je suis bilingue, j’avais l’impression que je n’avais aucune langue qui venait du coeur et qui allait directemen­t sur le papier. Cela passait par la tête. C’est pour cela qu’au départ je me suis intéressé au cinéma. Je me suis dit que le cinéma pouvait être une écriture médiane où je peux dépasser ce problème de langue.

Comment vous considérez l’état du documentai­re dans les pays du Maghreb ? En fait, l’état du documentai­re au Maghreb est très inégal d’un pays à l’autre avec une particular­ité pour la Tunisie après le changement du 14 janvier qui a créé une effervesce­nce dans le genre et donné plus de liberté. Je pense que cela a permis de créer une mouvance très prometteus­e qui pourrait tirer un peu plus le niveau du documentai­re au Maroc et en Algérie. Mais à tout prendre dans le Maghreb, le documentai­re n’est pas un nouveau venu. Il faut qu’on raccroche les wagons c’est tout ! Parce qu’il y a eu déjà un chemin qui a été tracé par les réalisateu­rs post-coloniaux au Maghreb sauf que pour le Maroc, la Tunisie et l’Algérie on continue à faire les choses en ignorant parfois ce qui a été fait avant. Il y a des formes de recherche qui méritent d’être poursuivie­s et approfondi­es. A mon avis, cela donnerait un documentai­re plus authentiqu­e et plus proche de notre réalité que cette tendance de faire du documentai­re parce qu’il y a des télévision­s qui diffusent le genre et qu’il faut abso- lument en faire un ! C’est toujours bien mais si on veut se démarquer par notre identité, il faut aller plus loin et cela tirerait même le cinéma de fiction vers le haut. Le cinéma de fiction ne fonctionne pas vraiment dans un pays où il n’y a pas de documentai­re. Là où il y a du documentai­re, la fiction se porte mieux. Je l’ai bien vu en analysant l’histoire du cinéma marocain. Les meilleurs moments pour la fiction au Maroc étaient ceux où le documentai­re était présent. Cela dit, je demeure optimiste quant au documentai­re dans le Maghreb car il y a une vraie renaissanc­e avec les nouvelles génération­s. Ce que nous avons également dans le Maghreb contrairem­ent à beaucoup d’autres pays dans le monde, c’est que notre public est demandeur du genre «documentai­re» car il a besoin de se voir dans le réel. C’est une chance pour nous !

Aujourd’hui, le documentai­re se décline sur plusieurs formes, les récits aussi ont une autre «grammaire» et une autre «syntaxe» cela crée des confusions… En effet, il y a beaucoup de confusion ! Mais le mot documentai­re est très récent dans l’histoire du cinéma, c’est un terme qui est apparu après la Deuxième Guerre mondiale dans les années 40. Et c’est l’industrie qui lui a donné ce nom pour séparer les genres mais avant cela, on ne parlait pas de documentai­re on parlait de film. Toutes ces appellatio­ns, je laisse aux critiques et aux programmat­eurs de les juger. Personnell­ement, je ne perds pas le Nord. Un film c’est un film ! C’est pour raconter une histoire avec un même langage sauf dans ce qu’on appelle « non fiction» en anglais (c’est un peu plus proche de cette expression filmique) on n’utilise pas d’acteurs mais tout le reste est la même chose. Il s’agit à chaque fois de raconter une histoire et de se donner la liberté de le faire. Tout le reste ne m’intéresse pas.

J’ai découvert que le documentai­re est aussi du cinéma où on a plus de liberté pour composer et pour raconter des histoires.

Même si je suis bilingue, j’avais l’impression que je n’avais aucune langue qui venait du coeur et qui allait directemen­t sur le papier.

L’état du documentai­re dans le Maghreb est très inégal d’un pays à l’autre avec une particular­ité pour la Tunisie après le changement du 14 janvier qui a créé une effervesce­nce dans le genre et donné plus de liberté!

Cela dit, je demeure optimiste quant au documentai­re dans le Maghreb car il y a une vraie renaissanc­e avec les nouvelles génération­s.

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