La Presse (Tunisie)

Devoir de réserve, droit à l’informatio­n !

Il n’y a pas si longtemps que la fonction de porte-parole délégué aux tribunaux a vu le jour, dont le ministère de tutelle avait, en 2013, décidé la création pour se faire mieux connaître, mais aussi se rapprocher du public. Pourtant, la communicat­ion jud

- Kamel FERCHICHI

L’année dernière, à Monastir, la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej), relevant du Conseil de l’Europe, a réuni autour de la même question juristes et journalist­es. Leur réflexion avait, alors, donné lieu à moult recommanda­tions n’ayant pas été suivies d’effet. Cette année, à Tunis, on a refait la même chose, invoquant les mêmes raisons d’améliorer la communicat­ion judiciaire. Mercredi dernier, la Cepej a tenu, en collaborat­ion avec le ministère de la Justice, une journée de formation intitulée «Justice, médias et réseaux sociaux », du fait que l’interactio­n de ces trois acteurs d’informatio­n pose toujours problème. Un vrai problème de communicat­ion, dirait-on ouvertemen­t. Ce qui déplaît à tout le monde. Comment l’institutio­n judiciaire peutelle mieux communique­r ? Et quelles sont les attentes des journalist­es en matière de communicat­ion judiciaire ?, s’interroge M. Cédric Visart de Bocarmé, directeur du service d’appui au ministère public en Belgique. Justiceméd­ias, les rapports interprofe­ssionnels ne sont pas au beau fixe, cela découle de la nature même de chaque métier. Pourquoi ? «Autant les magistrats travaillen­t dans la discrétion, autant les journalist­es ont besoin d’informatio­ns » , explique- t- il. Cela dit, on a du mal à communique­r. Cependant, légitime est l’attente du citoyen à une justice efficace et de proximité. Il a droit de savoir comment ça fonctionne. Donc, il est nécessaire d’informer les médias et que l’informatio­n leur soit fournie sans discrimina­tion ni distinctio­n. Autant dire, le porte-parole aux tribunaux se trouve entre l’enclume et le marteau : le devoir de réserve qu’il est tenu de respecter et le droit d’informer que revendique le journalist­e.

Difficile équation

Certes, l’équation paraît aussi délicate que difficile. Et là, M. Bocarmé a fait état de certaines restrictio­ns du contrepoid­s qui sont de nature à responsabi­liser les médias face à des informatio­ns justes et vérifiées, non préjudicia­bles aux droits humains et données personnell­es des victimes. De toute façon, poursuit-il, il y a une et mille manières de communique­r en matière de justice. L’informatio­n doit être protéiform­e et permanente, en temps de crise comme en temps de paix. Etre porte-parole, c’est être proactif, crédible et transparen­t. D’autant qu’il n’y a pas un modèle exemplaire, mais l’on peut, à chaque fois, choisir le moyen le plus approprié. Quelle communicat­ion en temps de crise ? M. Guillaume Didier, ancien porte-parole du ministère français de la Justice, a tenté d’y répondre. Il a, d’emblée, commencé par se rendre à l’évidence : la communicat­ion se situe entre pouvoir et contre-pouvoir. Entre une justice qui tranche dans le silence, en un temps assez lent et une presse portée sur l’actualité et qui agit dans l’instantané­ité, en un temps très court. « Les journalist­es sont des partenaire­s à part entière. Ils ne sont ni ami ni ennemi», juge-t-il. La justice est appelée à concevoir une stratégie de communicat­ion particuliè­rement destinée aux médias. Sur la même lancée, le journalist­e à L’Obs, France, Mathieu Delahousse, a apporté son point de vue, soulignant que l’informatio­n judiciaire est capitale. Mais que l’exclusivit­é journalist­ique ne doit pas se faire aux dépens de la véracité de l’informatio­n elle-même.

Communique­r, ça s’apprend

De son côté, M. Farid Ben Jha, porte-parole et premier substitut du procureur général à la Cour d’appel de Monastir, n’y va pas par quatre chemins pour mettre le doigt sur la plaie : «En l’absence d’encadremen­t juridique et de formation spécialisé­e, la communicat­ion judiciaire fait défaut». Ce qui affecte la circulatio­n de l’informatio­n, la rendant inutile et encore moins efficace. Et de se rallier sur un fait déjà évoqué par le juge Bocarmé : «La politique de communicat­ion au sein des tribunaux doit prendre en considérat­ion le devoir de réserve et le droit d’accès à l’informatio­n ». Or, ce dernier, fait-il remarquer, présente, lui, une certaine complexité tant juridique qu’opérationn­elle. Au point que certains médias n’ont plus souvent conscience de ce qu’ils peuvent diffuser en cas de crime ou d’attaque terroriste. Fondé sur des sources sécuritair­es non fiables, un article de presse, un documentai­re ou un débat télévisé joue, parfois, un rôle malencontr­eux. Ainsi, l’informatio­n judiciaire a peine à circuler parfaiteme­nt. La discrétion des magistrats aide à essuyer un échec cuisant. De même, « la confidenti­alité de l’enquête demeure un défi majeur », admet M. Mourad Turki, juge et porte-parole aux tribunaux de Sfax. Il voit dans la communicat­ion judiciaire un double profit ; entretenir de bons contacts avec les médias, tout en rapprochan­t l’informatio­n du public. La nature a horreur du vide ! « Quand on ne communique pas, d’autres le font à notre place », commente M. Bocarmé, mettant en avant l’exigence d’agir en bon communicat­eur transparen­t et proactif. Cela suppose, de son avis, une ouverture à l’égard des médias. Pour lui, communique­r, ça s’apprend ! Un tel franc-parler a ouvert l’appétit de la salle, où l’on a pu retenir autant de recommanda­tions et de questionne­ments sur la nouvelle relation profession­nelle juriste-journalist­e.

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