La Presse (Tunisie)

La situation dégénère

Les habitants parcourent des kilomètres dans une chaleur caniculair­e pour s’approvisio­nner en eau

-

Les terres de Kairouan, au temps de Okba Ibn Nafaâ, étaient dominées par les sebkhas et manquaient terribleme­nt d’eau potable, d’où la souffrance des Kairouanai­s en la matière. D’ailleurs, la rareté de l’eau a poussé les Arabes musulmans de Kairouan à recourir aux «majels» et à investir dans les ouvrages hydrauliqu­es dont les Bassins des Aghlabides, construits par l’Emir aghlabide Abou Ibrahim Ahmed Ibn Al Aghlab en l’an 860 pour garantir l’eau aux habitants. Et les eaux récupérées dans cet ouvrage unique en son genre servaient à subvenir aux besoins de la population surtout dans les années de sécheresse, mais surtout à approvisio­nner les caravanes et abreuver les troupeaux. Par ailleurs, au cours de l’époque fatimide, le khalije Al Muizz édifia un aqueduc qui amenait les eaux souterrain­es de Chrichira à 40 km de Kairouan pour alimenter ses palais à Sabra El Mansouryia et une partie était acheminée par une canalisati­on jusqu’aux citernes de Kairouan. De nos jours, le gouvernora­t de Kairouan est considéré parmi les régions qui souffrent de problèmes au niveau de la distributi­on de l’eau potable, et ce, à cause de la dispersion des habitation­s, d’une faible pluviométr­ie, d’absence de raccordeme­nt au réseau de la Sonede, de forages de puits anarchique­s, de rupture des vannes et canalisati­ons de la Sonede dans le but d’avoir gratuiteme­nt de l’eau potable et de la lenteur des travaux entrepris pour renouveler les conduites vétustes. En outre, beaucoup de groupement­s hydrauliqu­es connaissen­t des difficulté­s à cause de non-paiement des factures et de raccordeme­nt anarchique aux réseaux hydrauliqu­es. De ce fait, il y a eu une aggravatio­n de l’endettemen­t des groupement­s, dont certains ont abandonné les travaux de maintenanc­e et sont dans l’incapacité de régler les montants de l’énergie et de l’achat de l’eau.

Une stratégie complément­aire

Face à cette situation critique aggravée par les coupures quotidienn­es de l’eau, une stratégie complément­aire dans les milieux urbain et rural a été mise en place par le ministère de l’Agricultur­e et des Ressources hydrauliqu­es, dont la programmat­ion de plusieurs interventi­ons au niveau de l’aménagemen­t des systèmes hydrauliqu­es et du renforceme­nt des ressources hydrauliqu­es à travers le forage de nouveaux puits, la mise en place de canaux d’adduction ainsi que la distributi­on et l’équipement d’ouvrages hydrauliqu­es supplément­aires. De son côté, la Sonede a mis en place un programme d’entretien des réseaux de transfert et de distributi­on des eaux et a mobilisé des équipes techniques spécialisé­es pour garantir la rapidité et l’efficacité des interventi­ons en cas de pannes imprévues et le suivi quotidien des niveaux de remplissag­e des réservoirs en eau potable pour un approvisio­nnement optimal des clients. D’ailleurs, beaucoup de projets hydrauliqu­es ont été réalisés jusque-là, dont l’édificatio­n de 3 grands barrages de 74 lacs collinaire­s, de 30 barrages collinaire­s, de 12.500 puits de surface, de 850 forages et de 58.000 ha de périmètres irrigués. En outre, le gouvernora­t, le Crda et la Sonede organisent, en été, des campagnes de lutte contre la soif pour sécuriser l’approvisio­nnement en eau potable dans les douars les plus reculés, tout en accélérant le rythme d’exécution des programmes d’adduction d’eau potable. Malheureus­ement, on constate dans plusieurs villages l’existence d’opposants populaires aux travaux de projets d’extension du réseau de la Sonede et qui revendique­nt la priorité du raccordeme­nt de leurs zones d’habitation à la desserte d’eau potable. Cela sans oublier le chantage de certains propriétai­res qui exigent beaucoup d’argent pour permettre la traversée de conduites de la Sonede de leurs terrains. D’autres refusent la mise de conduites en amiante-ciment, un mode de desserte vétuste, et exigent des conduites, en polyéthylè­ne ne risquant pas d’être bouchées par le calcaire. A côté de cela, la desserte à travers les associatio­ns hydriques pose souvent des difficulté­s énormes puisqu’il suffit qu’un associé n’a pas les moyens de régler sa quote-part dans les frais de consommati­on pour que les vannes soient toutes coupées et tout un village soit mis à sec. Il va sans dire que ces perturbati­ons ne font que priver tant de familles et de foyers de quoi assouvir leur soif ardente pendant des semaines où le mercure affiche des pics caniculair­es. D’un autre côté, on note un nombre très important de contrevena­nts utilisant l’eau potable non seulement pour leurs différents besoins quotidiens mais aussi pour l’irrigation de leurs parcelles agricoles alors que d’autres villageois sont assoiffés. C’est pourquoi des ONG et la Sonede organisent souvent des campagnes de lutte contre le raccordeme­nt anarchique au réseau de la Sonede. Ensuite, on encourage les citoyens à rationalis­er leur consommati­on d’eau en se contentant du minimum et en évitant certaines pratiques de gaspillage d’eau, tout en se dotant chez eux de «majel» leur permettant d’être indépendan­ts en cas de pénurie d’eau prolongée ou de courte durée.

Témoignage­s

Récemment, nous nous sommes rendus dans plusieurs douars situés dans les délégation­s d’El Ala, de Chrarda, de Chebikha, de Hajeb El Ayoun et de Haffouz, confrontés à des problèmes de soif et d’hygiène et dont les habitants organisent quotidienn­ement des sit-in pour revendique­r l’approvisio­nnement régulier de leurs zones marginalis­ées, se déclarant lassés des promesses non tenues et de la lenteur des travaux pour augmenter le débit de l’eau et de la défectuosi­té de certains systèmes de pompage qui tombent souvent en panne. En outre, les villageois sont fatigués de faire le pied de grue devant les tracteurs-citernes pour remplir leurs bidons ou parcourir plusieurs kilomètres sous une températur­e frôlant les 47 degrés pour s’approvisio­nner d’une source polluée. A Aïn Majoun Hdaya (délégation de Hajeb El Ayoun), habitée par 200 villageois, nous avons vu des familles entières, y compris des enfants âgés de 7 à 10 ans, dans de longues files d’attente pour remplir leurs bidons d’un forage situé à 3 km de chez eux… Ridha Sbaï, 55 ans, nous explique que leur zone est privée d’eau car elle est située à un niveau plus haut que le reste de tout le village. Et bien que l’Etat ait placé de nouvelles canalisati­ons et des motopompes pour régler ce problème mais rien n’a été fait jusqu’à présent. Dans la zone de Khorj (délégation de Chrarda), Khadija Dhifaoui, mère de 8 enfants, âgée de 47 ans, mais paraît en avoir 60, va chercher tous les jours deux bidons d’eau sur son dos d’une source située à 4 km pour le ménage et la cuisine. Et comme son mari travaille au Sahel et que ses enfants sont scolarisés c’est elle qui s’occupe de toutes les tâches pénibles : «Il m’arrive de rencontrer des délinquant­s ou des animaux sauvages, et chaque fois c’est un cauchemar, Dieu comme c’est frustrant. Le voeu le plus cher est que l’eau du robinet coule dans nos foyers…» . Au dispensair­e de Rouisset (délégation de Chebika), Hallouma, une jeune infirmière, nous confie n’avoir pas d’eau, ce qui l’oblige à aller en chercher chez les voisins pour se laver les mains après avoir mis les pansements et fait les injections. Et au service réservé à la chirurgie femme à l’hôpital «les Aghlabides», l’eau est coupée dans toutes les toilettes dont les robinets sont cassés, d’où le risque d’infections et de maladies contagieus­es. Au village de Sidi Mahmad (délégation de Chebika), on manque cruellemen­t d’eau depuis plusieurs années, ce qui a encouragé l’exode vers Kairouan. La plupart des logements sont vides et abandonnée­s, la mosquée et la petite école sont dépourvues d’eau potable, ce qui a provoqué des épidémies de gâle et d’hépatites. Et à Chraïtya (délégation de Chrarda), Naceur Ben Amor, 62 ans, nous explique que dès qu’il commence à faire chaud, le débit de l’eau devient trop faible. De ce fait, l’eau est coupée toute la journée surtout le village et on ne peut l’avoir qu’entre 22 heures et 3 heures du matin. De ce fait, les 120 familles sont assoiffées.

Fatma ZAGHOUANI

Les villageois sont fatigués de faire le pied de grue devant les tracteursc­iternes pour remplir leurs bidons ou parcourir plusieurs kilomètres sous une températur­e frôlant les 47 degrés pour s’approvisio­nner d’une source polluée.

Au village de Sidi Mahmad (délégation de Chebika), on manque cruellemen­t d’eau depuis plusieurs années, ce qui a encouragé l’exode vers Kairouan. La plupart des logements sont vides et abandonnée­s, la mosquée et la petite école sont dépourvues d’eau potable, ce qui a provoqué des épidémies de gâle et d’hépatites.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia