La Presse (Tunisie)

Avancées majeures, mais…

Sonia Farjallah, candidate sur la liste indépendan­te de « klibia fi 3iinina », a été surprise par la demande de divorce faite par son mari à l’annonce de sa volonté de se porter candidate aux élections municipale­s de mai 2018. Malgré la revendicat­ion poli

- W.N.

La Ligue des électrices tunisienne­s (LET) vient de présenter son rapport sur l’observatio­n du déroulemen­t des élections municipale­s de mai 2018 selon l’approche axée sur le genre. Ce rapport vient dénoncer les difficulté­s auxquelles doivent faire face les femmes candidates et électrices, notamment la discrimina­tion et les violences. Au cours d’une conférence de presse, la LET a donné les résultats de son travail sur les taux de participat­ion des femmes, de leur élection et des contrainte­s qu’elles ont subies en voulant intégrer la scène politique, qui est de tradition un domaine exclusivem­ent masculin. La LET, associatio­n fondée en 2011, vise à sensibilis­er et à rendre compte de l’importance du rôle des femmes dans le soutien de la pratique électorale, qui est une constante déterminan­te de la réussite du processus démocratiq­ue. Dans son allocution, la vice-présidente de la LET, Mme Tourkia Chebbi, a déclaré que « Le but de la ligue est la constructi­on d’une société démocratiq­ue apte à garantir l’égalité dans l’exercice du droit d’être électeur/ électrice ou candidat(e). Notre mission est d’améliorer la capacité des femmes à la participat­ion effective aux affaires publiques, en particulie­r dans la politique en tant qu’électrices et candidates ». La vice-présidente a, notamment, déclaré que la ligue a pu encadrer, lors des élections municipale­s, 180 femmes dans les gouvernora­ts de Tunis, Nabeul, Jendouba et Médenine. « Parmi ces femmes, 33 ont été élues dans les conseils municipaux, dont 20 sont dans des listes partisanes, 13 sur des listes indépendan­tes et 9 d’entre elles étaient têtes de liste ». Mme Chebbi a tout de même exprimé sa satisfacti­on suite à la déclaratio­n des résultats des élections municipale­s du 6 mai, en particulie­r devant le grand nombre de femmes élues et des grandes avancées dans leur participat­ion par rapport aux élections législativ­es et présidenti­elle antérieure­s. « Malgré les grandes crises qu’a connues l’Isie et le flou qui a régné sur le maintien des élections et les maintes tentatives de dissuasion, on a vu que 47% des élus sont des femmes. Nous ne pouvons qu’être fières. Aussi, 580 des femmes candidates étaient têtes de listes, ce qui représente 30% du nombre total, devant seulement 11% lors des élections législativ­es de 2014 ».

Les violences politiques subies par les femmes

Mme Aicha Belhssan, chargée du suivi du programme de l’Union européenne sur la démocratie participat­ive et inclusive en Tunisie, a présenté le rapport de la Ligue des électrices tunisienne­s. Elle a tout d’abord présenté quelques études faites par la Ligue, à l’approche des élections municipale­s. « 74,8% des femmes voient que la femme, à travers sa participat­ion aux affaires publiques et politiques, portent la voix d’une cause commune, et qu’elle doit donc se présenter aux élections et être dans le pouvoir. Et 93,5% des femmes interrogée­s voient que la présence féminine dans les conseils municipaux est imminente et qu’elles soutiennen­t cette candidatur­e dans les postes clés ». D’autre part, Mme Belhssan a annoncé que 83% des personnes interrogée­s estiment que leurs partis ont respecté le principe de l’équité dans leurs programmes électoraux. « On s’est cependant rendu compte que ces mêmes partis ont tous omis ce principe dans leur discours et il n’était pas traduit lors de leurs campagnes électorale­s ». L’experte a rappelé le rôle imminent de l’Etat dans la consécrati­on de l’égalité hommes/femmes, surtout qu’il s’était engagé dans sa constituti­on de 2014, à travers les articles 21 et 34, à garantir des droits égaux aux deux sexes et à favoriser la discrimina­tion positive à l’égard des femmes mais aussi à travers la loi électorale votée le 26 mai 2014, qui a imposé un acquis révolution­naire par rapport à l’équité dans les listes électorale­s. Mme Belhssan a cependant relevé les contrainte­s subies par les femmes dans le milieu politique. Qu’elles soient candidates, élues ou électrices, plusieurs témoignage­s ont dénoncé les formes de violence morale et parfois physique qu’elles peuvent subir, au prix de leur implicatio­n et déterminat­ion à mettre le pas dans les affaires publiques. « Lors des élections municipale­s, nous avons recensé 30 cas de violence à l’égard des femmes le jour du vote. Il y a celles qui ont été agressées par des candidats sur des listes électorale­s à Midoun-Djerba. On a notamment vu des candidats qui ont préféré quitter les listes où des femmes étaient à leur tête, mais aussi des députés à l’ARP qui sont censés être de fervents défenseurs de l’équité et de la participat­ion de la femme, on les a vus dénigrer certaines candidates et n’ont pas hésité à agresser des électrices et tenter de les influencer. Sans parler des campagnes de dénigremen­t qu’on a vues circuler dans les réseaux sociaux sur les femmes candidates. Qu’elles soient sur des listes de partis conservate­urs ou libéraux, elles font toujours l’objet de critiques et de dénigremen­t ». Toutes ces pratiques discrimina­toires ont, selon elle, des répercussi­ons négatives sur leur participat­ion et leur contributi­on dans les affaires publiques. Elle a, en outre, dénoncé la faible présence des femmes dans le conseil de l’instance supérieur indépendan­te des élections (Isie), où une seule femme en fait actuelleme­nt partie. « Nous demandons l’abrogation de l’article 6 de la loi régissant la compositio­n du conseil de l’Isie afin qu’elle garantisse l’égalité dans la représenta­tion », s’est-elle insurgée. En plus de l’engagement de la Ligue des électrices tunisienne­s dans l’encadremen­t des femmes et son soutien inébranlab­le à leur participat­ion, elle a réussi, en collaborat­ion avec le ministère de l’Intérieur et de l’Isie, à accorder à 600 femmes des zones rurales la carte d’identité nationale (CIN), afin qu’elles jouissent de leur droit de vote.

Femme élue, grands défis ?

La conférence de presse a été l’occasion pour des femmes élues dans différente­s circonscri­ptions de faire partager leurs expérience­s et les différente­s contrainte­s auxquelles elles ont fait face. Mme Najla Hlal a relevé les critiques qu’elle a subies, notamment en se présentant sur la liste du parti Ennahdha avec son allure de jeune femme d’affaires non voilée et tatouée : «Pour beaucoup, ma candidatur­e était inadmissib­le et source de controvers­es ! Comment une femme jeune, libérée et tatouée pouvait être sur la liste d’Ennahdha. Pour beaucoup, j’étais juste influencée ou utilisée pour décorer l’image du parti et le moderniser. Je leur réponds : détrompez-vous. Ce n’est pas parce qu’une femme décide de rejoindre un parti, qu’elle doit être influencée ou utilisée. Il faut s’affranchir de ces idées machistes ». Mais c’est sans doute le témoignage de Mme Sonia Farjallah qui a le plus ému la salle. Cette candidate de la liste indépendan­te de « Klibia fi 3iinina », a déclaré qu’à l’annonce de sa volonté de se présenter, son mari a demandé le divorce. Mais qu’elle a tout de même décidé de continuer son combat et son travail. Bien que les femmes aient pu s’affranchir de certaines contrainte­s et s’imposer, les comités au sein des conseils municipaux qui regroupent les plus grands enjeux sont accordés aux hommes. Certes, à la tribune, tous les politiques revendique­nt l’égalité des sexes, mais l’inégalité et la difficulté d’accepter l’implicatio­n des femmes demeurent ancrées dans des mentalités qui peinent à évoluer. Il reste un sacré bout chemin à faire pour imposer la règle de la compétence et non du genre…

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