La Presse (Tunisie)

Une part d’irrationne­l

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On le sait, Didier Deschamps est quelqu’un d’extrêmemen­t pragmatiqu­e. Mais derrière cette façade se cache un homme habité par son destin, convaincu qu’il a une place à part, et qui a réussi à faire entendre cela à ses joueurs.

Deschamps montre du doigt où est sa place : tout en haut. On ne l’a jamais surpris en train de se livrer à de grandes envolées lyriques, et il refuse tout ce qui pourrait le faire passer pour quelqu’un d’exalté. Quand il veut prendre ses gars aux tripes, Didier Deschamps est plutôt du genre à leur balancer une grande causerie qui parle de camaraderi­e, de combat et d’envie supérieure à celle des joueurs d’en face. Sélectionn­eur, pas gourou. Et le double champion du monde n’a pas attendu le mois de juin 2018 pour découvrir qu’il avait une solide capacité à être écouté et respecté. Son tampon de « meneur d’hommes » , il l’a reçu au milieu des années 1980, à cette époque où il portait une touffe de cheveux jamais coiffés et faisait chambre commune à Nantes avec Marcel Desailly. Et tous les coachs qui lui ont filé le brassard de capitaine à l’époque où il était joueur n’ont fait que confirmer la chose. Depuis qu’il est lui-même passé sur les bancs de touche, Didier Deschamps utilise un autre levier pour continuer d’asseoir son autorité : la gagne. Le palmarès. Ce qui met tous les sportifs d’accord, et permet de canaliser les fortes têtes. Au beau milieu de la Coupe du monde, Antoine Griezmann ne le cachait pas : « D’abord, il est respecté par nous parce qu’il a gagné ». Episode 2 chez Paul Pogba : « Il a une étoile. Il a quelque chose que peu de coachs ont. Il a été un grand joueur, un capitaine ». Mais au-delà d’un don naturel pour être un leader et d’une armoire à trophées surchargée, la méthode s’appuie également sur un autre élément plus compliqué à déceler: la mystique.

Quelque chose de plus spirituel

Malgré tous ses efforts pour montrer qu’il est l’homme le plus pragmatiqu­e et terre à terre de la planète, Didier Deschamps laisse parfois poindre une facette plus étonnante de sa personnali­té. Quelque chose de plus spirituel, de quasiment illuminé, qui pousse le sélectionn­eur à s’imaginer comme un élu choisi pour écrire l’histoire. Après la demi-finale, un journalist­e avait interrogé Deschamps sur les similitude­s avec 1998 (un défenseur qui marque et qui qualifie les Bleus en finale), en lui demandant s’il y voyait un signe du destin. La machine était lancée : «Le destin ? Chacun a son destin ». Quelques minutes plus tard, un autre reporter avait insisté: « Vous dites qu’on a un destin, c’est quoi votre destin à vous ? Il a l’air à part, quand même, dans l’histoire du football français». Et là, Didier Deschamps s’était montré incapable de dissimuler un vrai sourire franc, venu du fond du coeur : « J’en ai un, oui. Chacun a le sien. » Observer un homme évoquer son propre destin quand il est persuadé que celui-ci est immense, c’est l’assurance de voir la personne en question s’animer instantané­ment. Un sourire qui pointe, un oeil qui se met à pétiller, un port de tête qui s’élève de quelques millimètre­s. Oui, Didier Deschamps s’est mis dans le crâne depuis bien longtemps qu’il était spécial, et qu’il faisait partie de cette catégorie de gens qui marchent sur une route à part. La chose touche au surnaturel et à l’extatique, mais l’immense majorité des hommes et des femmes qui ont écrit la légende dans leurs domaines respectifs étaient portés par ce moteur. Généraleme­nt, quand quelqu’un est convaincu de vivre sa vie en empruntant un chemin qui mène tout droit vers la gloire, il arrive à entraîner derrière lui des cohortes d’adeptes. C’est de cette matière première que sont faits les grandes conquêtes militaires et les destins présidenti­els. Mais aussi quelques victoires sportives retentissa­ntes. Antoine Griezmann, toujours en parlant du coach de l’équipe de France : « On croit en lui, on a confiance en lui et on joue pour lui». Blaise Matuidi avait poussé le raisonneme­nt un peu plus loin: « Il est différent ». Pas étonnant qu’Emmanuel Macron, un autre homme persuadé qu’un grand Architecte a dessiné un plan pour lui, se soit autant régalé à étreindre son Didier sur la pelouse du Loujniki. Pendant la campagne qui l’a mené à l’Elysée, le chef de l’Etat avait d’ailleurs assumé ce rapport à la transcenda­nce en déclarant lors d’une interview au JDD : « La politique, c’est mystique» Il est plus compliqué de lancer Didier Deschamps sur le sujet. Même si la veille de la finale, il avait commencé à se mouiller : « Il y a une part d’irrationne­l qui peut entrer en ligne de compte ». Avant d’illustrer avec une image hyper concrète pour ne pas s’égarer : « Je prends l’exemple du but qu’on a marqué contre l’Argentine, où c’est Lucas Hernandez, notre arrière gauche, qui centre pour Benjamin Pavard, notre arrière droit, qui la met en pleine lucarne. Si je vous dit “on l’a travaillé à l’entraîneme­nt”, vous allez bien rigoler. C’est des choses, à un moment, il y a l’irrationne­l ». La tête tout là-haut, mais les pieds sur terre. Pas mal pour un homme d’1,69m.

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Didier Deschamps, un sélectionn­eur habité par son destin

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