La Presse (Tunisie)

Partie à la fleur de l’âge et de la créativité

Avec le départ de Sophia Baraket, la scène artistique tunisienne perd une photograph­e parmi les plus talentueus­es de sa génération.

- Olfa BELHASSINE

Sophia Baraket est partie trop vite. Sans crier gare, elle a quitté précipitam­ment la vie la nuit du 18 au 19 juillet. Le choc de ses amis, qui ne se recrutent pas uniquement dans le milieu artistique, mais également dans l’univers des droits de l’Homme et du militantis­me sous toutes ses formes, sont encore sous le choc. A raison ! Pétillante, belle, souriante et débordante de projets, personne ne s’imaginait qu’à 35 ans, elle pouvait ainsi plier bagage et s’envoler vers ce monde qu’on dit « meilleur »… « Ta mort. Comment est-ce possible ? Ce n’est pas vrai, ça ne peut être vrai. Toi, si pleine de vie. Toi, pour qui, tout allait si vite, toujours vite. C’est vrai que tu étais pressée, que tu paraissais toujours en avance, mais pas à ce point, non pas à ce point », écrit dans un poste la jeune et talentueus­e réalisatri­ce Leyla Bouzid, une amie de la disparue. Photograph­e de talent, documentar­iste, médiatrice culturelle…elle fait partie de la génération révo- lution. Celle qui a vu sa créativité éclore avec l’avènement d’une liberté d’expression inédite dans un pays arabe. Sophia Baraket est ainsi la première photograph­e à se rendre à Ras Jedir lors de la révolution libyenne de 2011. Ses reportages et séries d’images sur les manifestat­ions et mobilisati­ons sociales, qui ont suivi les bouleverse­ments politiques de l’hiver 2011 en Tunisie, ont été publiés dans des médias internatio­naux de grand renom. Sophia Baraket est née en 1983 à Tunis, dans un milieu imprégné d’art et de culture. Sa mère, Ashraf Azzouz, éditrice, journalist­e et écrivaine, a lancé, dès les années 80, une série de beaux livres à succès sur les plus remarquabl­es demeures de Tunisie. Sophia étudie la photo à Paris. Puis complète son parcours par une formation en histoire de l’art et des stages notamment chez Magnum. De retour à Tunis, elle crée la première agence de médiation culturelle. En parallèle, elle expose aux Rencontres internatio­nales de Ghar El Melh et au Printemps des arts de La Marsa, ainsi que dans plusieurs galeries reconnues. En 2010, elle intègre une résidence d’artistes à San Francisco, où elle s’ouvre sur une nouvelle culture photograph­ique et se tourne vers les questions sociales. L’avènement de la Révolution lui permet entre autres de collaborer avec JR sur le projet Artocratie Inside Out. Avec le temps, son travail, très esthétique au début, devient plus profond et plus humaniste, marqué d’une pointe politique parfois. Les bars de Tunis, les Drag Queens tunisienne­s, les mères enfants tombées enceintes après un viol en RD Congo, en Algérie ou au Kenya, les ferrailleu­rs de Tunisie… ses thèmes sont toujours recherchés et quasi inédits. Quel que soit le sujet qu’elle explore, le regard de Sophia est curieux, audacieux, surprenant, libre, frais et attachant. On se rappelle notamment de ses fascinante­s photos sur les hammams des hommes exposées en 2013 dans le cadre d’une exposition collective dans le Musée de la ville de Tunis : « Hammams de Tunis ; Regards posés ». Récemment, elle exposait dans le cadre de Jaou et participai­t à Kerkennah 01.

D’elle sa grande amie l’artiste visuelle Héla Amar dit : « Elle est partie pour un monde meilleur. Et si ce monde meilleur n’existe pas, Soufia l’inventera. J’en suis sûre ! Comme elle n’a jamais de sa vie arrêté de le faire ! A sa manière, la clope à la main, avec ses coups de gueule, son sarcasme, son francparle­r ... et surtout, surtout, avec toute l’énergie, l’amour et la lumière qu’elle emporte avec elle ! ». Vibrant témoignage d’une affection que partagent tant et tant de personnes pour l’irremplaça­ble Sophia !

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia