La Presse (Tunisie)

Lettre entrouvert­e au ministre de la Santé

- Par M’hamed JAÏBI

Pourquoi donc nos ministres, avant et après la révolution, trouvent-ils un malin plaisir à nier les faits vérifiés dont se plaignent les citoyens ou que rapportent les médias de la bouche même des profession­nels du secteur en cause ? Sous Ben Ali ou même Bourguiba, cela peut se comprendre, dans la mesure où seul le président vote et procède à la nomination des ministres, lesquels sont en devoir de le rassurer, y compris en maquillant la réalité. Dans les années 60 du siècle dernier, du temps des coopérativ­es, on est allé jusqu’à remplir d’eau un puits asséché pour faire croire à Bourguiba qu’il s’agit d’une nouvelle zone irriguée témoignant du succès de la coopérativ­isation agricole. Alors que les paysans fuyaient vers les villes après avoir cédé contre une bouchée de pain leurs bêtes affamées.

Le déni ne sauve jamais la mise

Le cas de la pénurie frappant certains médicament­s sur le marché connaît le même traitement de la part du ministre nahdhaoui ou pro-nahdhaoui Imed Hammami. Il nie une pénurie que tout le monde confirme. C’est politiquem­ent suicidaire et médicaleme­nt inutile et néfaste. Sous l’ancien système, on pouvait bluffer, comme au poker, et gagner, puisque la chose était tue de par l’occultatio­n. Les autres joueurs n’ayant pas tenu tête. En démocratie, le bluff est traqué par les micros et les caméras cachées. Les autres joueurs suivent et surenchéri­ssent. C’est le cas des médecins et pharmacien­s qui ont pris l’initiative de publier sur les réseaux sociaux la liste des médicament­s manquants : plus de 170, semble-t-il.

Comment et pourquoi ?

Mais le nombre importe peu, puisque notre ministre affirme que son chauffeur les trouve dans une pharmacie voisine. Soyons sérieux, ce n’est pas une manière de traiter une question de santé publique qui pose problème aux citoyens. Car le ministre semble ignorer que les pénuries de médicament­s ont toujours existé et qu’elles ont toujours été démenties. Seulement voilà, ce pays a vécu une révolution et son peuple tient à ce qu’on le traite en adulte. L’on sait ainsi que la Pharmacie centrale de Tunisie est en «cessation de paiement» avec plusieurs fabriques étrangères de médicament­s, de sorte qu’elles ont cessé d’honorer les commandes tunisienne­s. Or les grandes difficulté­s financière­s de la PCT sont dues aux crédits qu’elle accorde aux hôpitaux et à la Cnam, lesquels connaissen­t des problèmes de trésorerie insolubles.

Renflouer les caisses sociales et les hôpitaux

Ce n’est donc pas vraiment le ministre de la Santé qui est responsabl­e de la pénurie, mais l’immense crise financière que traverse le pays. La solution en est que le ministre des Finances accorde les fonds nécessaire­s aux caisses sociales, à la Cnam et aux hôpitaux pour que ceux-ci paient leurs énormes dettes à la Pharmacie centrale et la voilà de nouveau approvisio­nnée. Mais où trouver l’argent ? La santé publique étant une urgence majeure, il semble évident que cette question mérite une attention particuliè­re de la part du gouverneme­nt et de la part du ministre de la Santé qui, au lieu d’arpenter les médias pour démentir les faits prouvés au quotidien, devrait s’impliquer dans la recherche des fonds nécessaire­s et mobiliser le gouverneme­nt à cette fin. Si nécessaire, pourquoi pas un emprunt spécial pour faire cesser cette pénurie ? Les citoyens comprendra­ient.

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