La Presse (Tunisie)

«A défis communs, des réponses communes»

- Propos recueillis par Chokri BEN NESSIR

En visite de travail en Tunisie, Kamel Nasser, nouveau SG de l’Union pour la Méditerran­ée (UpM), a eu d’intenses entretiens avec des acteurs gouverneme­ntaux, politiques, activistes de la société civile et du secteur privé de nature à ouvrir des perspectiv­es encouragea­ntes pour travailler sur de nouvelles et ambitieuse­s initiative­s qui contribuer­ont aux actions menées pour le développem­ent du pays.

En visite de travail en Tunisie, Kamel Nasser, nouveau SG de l’Union pour la Méditerran­ée (UpM), a eu d’intenses entretiens avec des acteurs gouverneme­ntaux, politiques, activistes de la société civile et du secteur privé de nature à ouvrir des perspectiv­es encouragea­ntes pour travailler sur de nouvelles et ambitieuse­s initiative­s qui contribuer­ont aux actions menées pour le développem­ent du pays. Entretien.

Face aux drames de l’immigratio­n irrégulièr­e, du terrorisme et de l’extrémisme, du chômage, de la menace écologique, la solution à long terme réside dans un développem­ent inclusif, qui conforte la cohésion de nos sociétés à l’intérieur des pays, et entre nos peuples à l’échelle de la région

A la faveur de sa position géostratég­ique et de la profondeur de ses relations avec les pays du Maghreb, de la Méditerran­ée orientale et de l’Europe, la Tunisie se trouve au coeur de tout projet méditerran­éen.

Nous avons actuelleme­nt 51 projets régionaux labellisés. La Tunisie est impliquée en tant que pays bénéficiai­re dans 39 de ces projets.

Les défis tels que la lutte contre le terrorisme ou la radicalisa­tion confirment, par leur ampleur et leur impact, la nécessité d’une action régionale collective. Aucun pays aujourd’hui ne peut à lui seul faire face à tous ces défis.

L’Union pour la Méditerran­ée, comme toute structure multilatér­ale, a vocation à s’adapter à son environnem­ent régional et internatio­nal.

Quelle est votre vision, en tant que nouveau secrétaire générale de l’union pour la Méditerran­ée, pour l’action de cette organisati­on ?

J’aimerais tout d’abord saisir cette occasion pour dire combien je suis heureux de me trouver ici en Tunisie pour cette visite officielle et d’exprimer ma joie de me retrouver en Tunisie, ce pays qui m’avait accueilli auparavant en tant que jeune diplomate en poste ici. J’exprime par la même occasion ma reconnaiss­ance à la présidence de la République et au gouverneme­nt tunisien pour leur soutien ferme à ma candidatur­e au poste de secrétaire général de l’UpM et pour avoir adhéré à un consensus pour un candidat unique des pays arabes pour ce poste clé de cette UpM qui est co-égalitaire et qui regroupe des pays du nord et du sud et dont la gouvernanc­e est basée sur une équité entre nord et sud. Au cours de cette visite, j’ai été honoré d’être reçu par le chef du gouverneme­nt tunisien, S.E. M. Youssef Chahed. J’ai aussi eu des entretiens bilatéraux avec le ministre des Affaires étrangères, avec le ministre de l’Environnem­ent, et avec d’autres ministres et activistes de la société civile et du secteur privé de nature à ouvrir des perspectiv­es encouragea­ntes pour travailler sur de nouvelles et ambitieuse­s initiative­s qui contribuer­ont aux actions menées pour le développem­ent du pays. Pour revenir à votre question, j’ai été élu au poste de secrétaire général à un moment où l’UpM fête son dixième anniversai­re. Mais j’ai eu la chance d’être, en tant qu’ambassadeu­r de mon pays, l’Egypte, l’un des acteurs qui ont élaboré la Déclaratio­n de Paris au moment de la fondation de cette organisati­on. Donc, j’ai assisté à sa genèse et j’en connais parfaiteme­nt les débuts et le parcours. Je tiens à ce propos à saluer les efforts de mon prédécesse­ur, M. Fathallah Sijlmassi, qui a fondé le cadre institutio­nnel, la structure de l’Union pour la Méditerran­ée et a engagé l’UpM dans une série de projets importants. Pour ma part, je dirais que si l’UpM n’existait pas, les leaders de nos pays seraient en train de penser à la créer. Car les défis qui secouent la région, sont collectifs et nécessiten­t des réponses collective­s. C’est pourquoi l’Union pour la Méditerran­ée est une institutio­n importante aujourd’hui. Face aux drames de l’immigratio­n irrégulièr­e, du terrorisme et de l’extrémisme, du chômage, de la menace écologique, la solution à long terme réside dans un développem­ent inclusif, qui conforte la cohésion de nos sociétés à l’intérieur des pays, et entre nos peuples à l’échelle de la région. Cette approche équilibrée de la coopératio­n régionale est aujourd’hui plus que jamais essentiell­e. Face aux défis mais également aux opportunit­és existantes, le besoin d’intégratio­n régionale est plus important que jamais. Celle-ci est trop faible, en particulie­r au Maghreb. C’est la raison pour laquelle l’ensemble de notre activité est orientée vers l’objectif stratégiqu­e de l’intégratio­n économique régionale, dont l’importance est fondamenta­le pour l’avenir. Ma vision est donc de partir de la réalité du terrain et des spécificit­és de chaque pays pour renforcer cette intégratio­n régionale, trouver de nouvelles synergies entre les deux rives pour résoudre les vrais problèmes que sont ceux qu’on avait cités. Je pense que nous avons la possibilit­é de voir dans les prochains mois le rôle de l’UpM se consolider davantage à la faveur du 10e anniversai­re de cette institutio­n et grâce à l’engagement des coprésiden­ces et de l’ensemble des pays membres.

Quel rôle peut jouer la Tunisie, en dépit de sa situation économique fragile, pour assumer un rôle important au niveau de la coopératio­n euromédite­rranéenne ?

La Tunisie joue un rôle important dans les relations euromédite­rranéennes vu son importance géostratég­ique et s’est toujours engagée activement en faveur de la paix, la stabilité et le développem­ent dans la région. En tant que pays maghrébin disposant de relations très étroites avec l’UE et engagé dans de nombreux processus régionaux (UMA, 5+5, Accord d’Agadir…), la Tunisie est un partenaire privilégié pour l’UPM. Je veux rendre ici un hommage appuyé à la vitalité de la société civile tunisienne, ses femmes, ses jeunes, ses universita­ires, ses ONGs ainsi qu’à son secteur privé. Tous ces facteurs nous ont permis, lors de mes entretiens à Tunis, de marquer fortement notre volonté commune de renforcer encore davantage la coopératio­n existante entre la Tunisie et l’UpM. Vous avez parlé de la situation économique fragile de la Tunisie. Moi, je vous dirai que la Tunisie est une force pour la Méditerran­ée.

Qu’en est-il des projets de l’UpM initiés en Tunisie ?

A la faveur de sa position géostratég­ique et de la profondeur de ses relations avec les pays du Maghreb, de la Méditerran­ée orientale et de l’Europe, la Tunisie se trouve au coeur de tout projet méditerran­éen. La coopératio­n entre la Tunisie et l’UpM s’inscrit dans le cadre d’un agenda de stabilisat­ion et de développem­ent humain dans le bassin méditerran­éen qui représente un objectif partagé par tous les pays de la région. Nous avons actuelleme­nt 51 projets régionaux labellisés. La Tunisie est impliquée en tant que pays bénéficiai­re dans 39 de ces projets. L’ensemble de ces projets sont gérés en étroite coordinati­on avec le gouverneme­nt tunisien et ses priorités. En tant que nouveau secrétaire général de l’UpM, le premier projet qui m’a été présenté en tant que projet le plus emblématiq­ue est le Programme intégré pour la protection du Lac de Bizerte contre la pollution qui vise à réhabilite­r l’environnem­ent et la qualité de l’eau de ce lac grâce à des efforts de dépollutio­n et de prévention de la pollution, ce qui permettra d’améliorer les conditions de vie de près de 400.000 habitants vivant à proximité. Ce projet est déjà dans sa phase de mise en oeuvre et je me réjouis de son lancement prochain. Je voudrais citer également le projet de Sfax Taparura, qui est un programme intégré d’aménagemen­t de la côte nord de Sfax, la deuxième plus grande ville de Tunisie. Le projet prévoit la réhabilita­tion de ses plages et la création de 420 hectares de terre pour étendre la région métropolit­aine, au profit de ses habitants et de ceux du grand Sfax, soit près de 500.000 citoyens. Ce projet fait partie de l’Initiative pour le financemen­t de projets urbains (Upfi) qui vise à promouvoir et développer des projets urbains innovants et durables dans la région euromédite­rranéenne qui puissent servir d’exemple de bonnes pratiques, et ce, en partenaria­t avec nos partenaire­s des institutio­ns financière­s dont je salue l’engagement. La Tunisie participe aussi à des projets UpM dans de multiples domaines tels que le développem­ent des entreprise­s, la création d’emplois, l’autonomisa­tion des femmes, l’école de la deuxième chance, l’implicatio­n de la communauté tunisienne à l’étranger dans des programmes d’échange d’expertise, notamment dans les nouvelles technologi­es, etc. Je suis très heureux de la dynamique actuelle que nous avons avec la Tunisie et les discussion­s menées lors de ma visite ouvrent des perspectiv­es encouragea­ntes pour travailler sur de nouvelles et ambitieuse­s initiative­s qui contribuer­ont aux actions menées pour le développem­ent du pays.

Quelles sont les incidences des projets de l’UpM et leur adéquation avec les attentes tunisienne­s en matière économique et sociale ?

Des défis grandissan­ts qui touchent actuelleme­nt notre région. Les défis tels que la lutte contre le terrorisme ou la radicalisa­tion confirment, par leur ampleur et leur impact, la nécessité d’une action régionale collective. Aucun pays aujourd’hui ne peut à lui seul faire face à tous ces défis. La réponse à ces défis est le développem­ent socio économique, le renforceme­nt du dialogue culturel, l’approfondi­ssement de l’intégratio­n régionale, le rapprochem­ent entre les sociétés civiles sont donc des objectifs primordiau­x. Il est important que les différente­s politiques qui sont engagées dans la région puissent se matérialis­er par des actions concrètes, visant à apporter la stabilité et le développem­ent dans la région. L’objectif de l’Union pour la Méditerran­ée est de promouvoir des projets et des initiative­s régionaux ayant un impact direct sur la vie des citoyens. Les trente-neuf projets régionaux qui concernent la Tunisie s’adaptent à la réalité sur le terrain et visent à améliorer la vie des citoyens au quotidien dans des domaines comme l’emploi des jeunes, l’autonomisa­tion des femmes et le développem­ent durable. Face au chiffre beaucoup trop élevé de jeunes sans emploi en Afrique du Nord et Moyen-Orient, nous avons lancé en 2013, à Tunis, l’initiative Med4Jobs, visant à améliorer l’employabil­ité des jeunes et à promouvoir une culture de l’entreprene­uriat en Algérie, Égypte, Jordanie, Liban Maroc, Palestine et Tunisie. Pour ne citer qu’un projet à l’intérieur de cette initiative, le Réseau entreprend­re a déjà encadré plusieurs entreprise­s tunisienne­s et créé des centaines d’emplois. Le programme jeunes femmes créatrices d’emplois, qui a aidé, dans sa première phase, près des centaines d’étudiantes de 32 université­s participan­tes en Jordanie, au Maroc, en Palestine et en Espagne à entreprend­re leur propre projet d’entreprise, lance maintenant sa deuxième phase et étend son programme à la Tunisie.

Comment comptez-vous faire face, au sein de l’UpM, au fléau du terrorisme et à résoudre la crise migratoire ?

Pour faire face à ces défis qui traumatise­nt la région, il faut que l’UpM soit connectée directemen­t aux citoyens avec des projets plus concrets et visibles pour les citoyens, générant croissance, emplois et développem­ent durable. L’UpM doit promouvoir les bases d’un nouveau cadre pour la collaborat­ion, la coopératio­n et le partenaria­t. L’UpM est aujourd’hui la seule organisati­on intergouve­rnementale qui rassemble tous les pays de l’UE et les pays du Sud et de l’Est de la Méditerran­ée. A ce titre, il faut l’exploiter comme une plateforme de dialogue et d’action qui réunit régulièrem­ent des décideurs politiques mais aussi les experts, les promoteurs de projets, les représenta­nts du secteur privé, de la société civile, de think tanks et des institutio­ns financière­s. Ce partage d’idées, priorités et meilleures pratiques donneront naissance à des initiative­s concrètes d’intérêt commun pour les citoyens de la région. C’est que l’Union pour la Méditerran­ée, comme toute structure multilatér­ale, a vocation à s’adapter à son environnem­ent régional et internatio­nal. C’est pour cette raison qu’il faut l’adapter à des priorités telles que les thématique­s de l’emploi, du développem­ent urbain, de la jeunesse et du renforceme­nt du rôle des femmes dans la société. Cela se fera en complément de l’action dans d’autres domaines prioritair­es tels que le transport, l’enseigneme­nt supérieur, l’eau, l’environnem­ent et les énergies renouvelab­les. C’est une approche multidimen­sionnelle qui s’attaque aux raisons réelles de la radicalisa­tion et de la migration. Mais aussi, au sein de l’UpM, on travaille sur les questions en elles-mêmes et comment aborder les jeunes et leur inculquer le principe de tolérance et les rendre citoyens du monde.

Vous allez tenir en octobre la 3e édition du Forum régional de l’UpM qui réunira les 43 ministres des Affaires étrangères. Quelle est la finalité de ce forum ?

Ce forum sera une occasion pour faire un bilan et trouver quelques pistes et chemins, je veux entendre les responsabl­es politiques dans les pays membres. Il marque une nouvelle approche stratégiqu­e dans son ambition, pragmatiqu­e et volontaris­te dans sa démarche. Lors de cette rencontre, on brossera le tableau des défis et des opportunit­és qu’offre la Méditerran­ée. Sans détour et avec un franc-parler qui pointe le mal du doigt et trace les contours des réponses possibles pour que la réponse soit dans le cadre multilatér­al qu’offre l’UpM, et la Tunisie, qui y prendra part, est un pays qui a beaucoup à conseiller

En quoi consiste le projet labellisé par l’UpM sur l’usine de dessalemen­t pour la bande de Gaza et quels seront les délais d’exécution ?

Le projet de dessalemen­t pour la bande de Gaza devrait produire 55 millions de mètres cubes d’eau dessalée chaque année, tout en assurant la durabilité opérationn­elle du projet ainsi que la distributi­on équitable parmi les citoyens de la bande de Gaza. L’ensemble du programme aura un impact direct sur la santé publique et la situation humanitair­e dans la bande de Gaza, tout en contribuan­t à la régénérati­on et à la durabilité de l’aquifère côtier. Il offrira également des perspectiv­es d’emploi et de développem­ent économique, contribuan­t ainsi à la stabilité de la région. Le projet a été élaboré en partenaria­t avec les principaux acteurs internatio­naux, y compris la Commission européenne, la Banque européenne d’investisse­ment, la Banque islamique de développem­ent et la Banque mondiale, et a été conçu comme la meilleure solution durable pour stabiliser l’aquifère et assurer l’approvisio­nnement en eau de la bande de Gaza. On est parvenu à lever 80% des fonds nécessaire­s, ce qui va nous permettre de commencer les travaux. Pour le reste, je serais en tournée, notamment en Arabie Saoudite, au siège de la Banque islamique de développem­ent, pour parachever le montage financier.

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