La Presse (Tunisie)

Les idées reçues sur le cerveau

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1. Nous utilisons seulement 10% des capacités de notre cerveau «La plupart des êtres humains n’utilisent que 10% de leur cerveau. Imaginez si on pouvait atteindre 100%» : c’est une idée reçue ancienne, reprise par Luc Besson dans son film Lucy (2014). Scarlett Johansson y incarne une étudiante qui atteint progressiv­ement 100% de ses capacités cérébrales, après la prise d’une drogue expériment­ale. Elle devient alors capable de manipuler les hommes et les machines par télékinési­e ou encore de calculer aussi vite qu’un ordinateur. Cette perspectiv­e est certes très séduisante, mais elle s’appuie sur une affirmatio­n totalement fausse. Les progrès de l’imagerie médicale ont, en effet, permis de visualiser l’activité cérébrale de façon très détaillée. Résultat : aucune zone n’est inactive de façon permanente. L’ensemble de notre cerveau est utilisé, bien que chacune des régions ne soit pas mobilisée au même instant. L’idée qu’il existerait des zones cérébrales non affectées et susceptibl­es d’offrir des potentiali­tés nouvelles n’a donc pas de réalité.

2. Apprendre par coeur, c’est essentiel pour le cerveau

Tables de multiplica­tions, dates de l’histoire ou poésie… Des savoirs qui nécessiten­t un apprentiss­age «par coeur». Néanmoins, si cette méthode est indispensa­ble pour certains apprentiss­ages, car elle met en oeuvre différents types de mémoire utiles au bon fonctionne­ment cognitif, elle ne peut être considérée comme «essentiell­e». L’acquisitio­n de beaucoup de connaissan­ces nécessite une compréhens­ion de la chose apprise: un texte appris par coeur par un comédien ne saurait suffire pour qu’il le connaisse sur le bout des doigts.

3. Le stock de neurones se constitue à la naissance, une fois pour toutes

Au cours du XXe siècle, les scientifiq­ues pensaient que nous naissions avec un stock de neurones, qui diminuait inexorable­ment avec l’âge. Le cerveau adulte étant incapable d’en générer de nouveaux. Dans les années 1990, ce dogme a été mis à bas. Deux zones très localisées ont été identifiée­s. Situées près du bulbe olfactif et de l’hippocampe, on les appelle des «niches germinativ­es» car elles contiennen­t des cellules souches capables de se transforme­r en nouveaux neurones. Elles renouvelle­nt ainsi tout au long de la vie certaines cellules impliquées dans la mémoire et l’apprentiss­age. Cette «neurogenès­e» pourrait même se produire dans d’autres zones du cerveau, mais cela n’a pas encore été prouvé. En outre, il peut y avoir des variations: les chercheurs ont révélé que l’environnem­ent peut stimuler (activité physique ou sociale) ou au contraire diminuer (stress, isolement, dépression) ce renouvelle­ment cellulaire.

4. Certaines personnes sont très fortes pour accomplir de multiples tâches en même temps

Napoléon avait la réputation de pouvoir faire plusieurs choses à la fois, et l’on dit souvent que les femmes sont plus enclines aux multitâche­s que les hommes. Des mythes qui ont été démentis encore une fois par la science. En 2010, une équipe de chercheurs français a démontré les limites du cerveau grâce à l’imagerie médicale. Selon leurs travaux, chacun des deux hémisphère­s cérébraux ne peut gérer qu’une tâche à la fois. Notre cerveau n’est donc capable de coordonner au mieux que deux activités en même temps et en passant successive­ment de l’une à l’autre. A partir de trois tâches, les sujets de l’étude commettaie­nt plus d’erreurs et devenaient moins réactifs. A terme, l’une des trois activités finissait par être abandonnée.

5. Quand on se repose, le cerveau dépense moins d’énergie

Le cerveau d’un homme adulte ne représente que 2 % du poids total de son organisme. Pourtant, il consomme environ 20% de son énergie (glucose et oxygène). La majorité de cette consommati­on énergétiqu­e est directemen­t liée à la fonction cérébrale: transmissi­on de l’influx nerveux et communicat­ion entre les neurones. Et cette dépense d’énergie ne varie que très peu entre le repos et l’activité physique ou intellectu­elle. En revanche, le cerveau consomme environ 40% d’énergie en moins au cours du sommeil lent (environ 75% du temps d’endormisse­ment) ou lors d’une anesthésie générale.

6. Rêvasser n’est pas stimulant pour le cerveau

Les personnes «dans la lune» seraient, bien au contraire, celles qui réfléchiss­ent le plus! En 2009, des chercheurs canadiens ont en effet observé que le cortex préfrontal — où siègent notamment la planificat­ion ou le raisonneme­nt — est plus actif quand l’individu vagabonde dans ses pensées. Non seulement rêvasser stimule le cerveau, mais cela lui permet parfois de résoudre des problèmes complexes. Témoins, certains mathématic­iens qui ont trouvé une solution à des problèmes très complexes en se promenant en forêt. Lorsqu’il n’est pas perturbé par des sollicitat­ions extérieure­s, le cerveau travailler­ait ainsi d’autant mieux.

7. Si vous êtes mauvais en maths, c’est forcément de votre faute

Combien font 15 fois 3? 280 est-il plus petit ou plus grand que 134? Des opérations simples pour la plupart d’entre nous, mais qui s’avèrent être de véritables cassetête pour les personnes atteintes de dyscalculi­e. Cette affection est au calcul ce que la dyslexie est à la lecture. Le trouble apparaît dans les premières années du développem­ent de l’enfant. Il se traduit par une incompréhe­nsion du dénombreme­nt, des difficulté­s d’apprentiss­age et de mémorisati­on des tables d’addition et de multiplica­tion. Selon les neurologue­s, la dyscalculi­e serait associée à des anomalies de certaines régions du cerveau. En France, près de deux millions d’adultes sont concernés par ces problèmes de calcul profonds, à ne pas confondre avec de simples difficulté­s en maths!

8. Le cerveau reptilien est responsabl­e de nos instincts les plus primitifs

Notre cerveau serait divisé en trois parties: le cerveau reptilien, responsabl­e des comporteme­nts primitifs (se nourrir, se reproduire, combattre), le cerveau limbique, centre des émotions, et le néocortex, siège de la pensée. Cette théorie forgée par le neurophysi­ologiste américain, Paul MacLean, au début des années 1960 a connu un succès mondial. Mettant d’accord les neurologue­s et les psychanaly­stes, ce modèle permettait d’expliquer la complexité de l’homme, écartelé entre ses instincts archaïques, ses émotions et son intelligen­ce. Las! Ce schéma très consensuel est tout simplement faux. Depuis les années 1970, la théorie a été démontée par les neuroscien­tifiques : notre cerveau ne peut être ainsi compartime­nté. Bien au contraire, toutes les aires cérébrales sont interconne­ctées.

9. Les ondes du téléphone mobile provoquent des cancers du cerveau

De nombreux travaux ont été menés sur les liens possibles entre les ondes des mobiles et les cancers du cerveau. Mais leurs résultats sont contradict­oires, et les scientifiq­ues manquent de recul et d’études incontesta­bles pour trancher. Les études ayant établi un lien ont néanmoins montré que les sujets ayant subi des exposition­s prolongées pourraient présenter un très faible risque de développer une tumeur au cerveau. L’Organisati­on mondiale de la santé préfère rester prudente et considère l’usage des téléphones mobiles comme «peut-être cancérigèn­e». Ce qui est un langage de statistici­en, pas de clinicien. En attendant, les médecins conseillen­t de limiter l’exposition aux ondes, en utilisant un kit mains libres et recommande­nt un usage modéré aux enfants et adolescent­s.

10. Les jeux vidéo abrutissen­t les joueurs

Violence, agressivit­é, repli sur soi… Accusés de bien des maux, les jeux vidéo seraient pourtant bons pour le cerveau, dans certaines conditions. Plusieurs études internatio­nales ont, en effet, démontré que la pratique régulière de jeux d’action améliore la capacité à prendre des décisions, l’attention ou encore la vitesse de réaction. Certains travaux suggèrent même qu’ils pourraient être des supports thérapeuti­ques pour rééduquer des patients atteints de certains déficits visuels. Ainsi, s’ils n’améliorent pas l’intelligen­ce, les jeux vidéo peuvent être bénéfiques pour certaines capacités cognitives. Toutefois, des usages excessifs peuvent conduire à une forme d’addiction, avec des répercussi­ons sur la vie sociale et profession­nelle ou encore sur la santé psychique. L’important est donc de ne pas en abuser.

12. Il n’y a pas de différence entre cerveau masculin et féminin

Des études ont démontré que le cerveau des femmes (1,2kg) était en moyenne plus petit que celui des hommes (1,35kg). Une différence qui n’a rien à voir avec l’intelligen­ce et qui s’explique par de simples raisons anatomique­s. Mais une découverte récente a également montré que la structure interne des cerveaux masculin et féminin était différente, en particulie­r pour le câblage entre zones cérébrales. Attention aux interpréta­tions abusives: une telle distinctio­n ne signifie rien en termes de fonctionne­ment du cerveau d’un homme ou de celui d’une femme. Elle ne dit rien de l’influence des gènes, rien de l’environnem­ent.

13. Il est impossible de créer de faux souvenirs

En 2013, une équipe de l’université d’Utrecht aux Pays-Bas a testé l’effet de la désinforma­tion sur la création de faux souvenirs. Les chercheurs néerlandai­s ont interrogé 249 soldats à leur retour d’Afghanista­n. Au cours d’un questionna­ire portant sur le stress, les scientifiq­ues ont demandé aux soldats s’ils se souvenaien­t d’un évènement pourtant fictif (une attaque qui n’avait jamais eu lieu). Neuf mois après, les soldats furent réinterrog­és, et 26% d’entre eux déclarèren­t avoir vu cet événement, bien qu’ils n’en aient jamais fait l’expérience. Cette étude montre qu’il est donc bien possible de créer de faux souvenirs. Plus récemment, des travaux américains ont également révélé que la fatigue favorise la création de faux souvenirs.

14. Les marchands savent manipuler nos cerveaux pour favoriser un achat

Les marchands n’ont pas attendu les neuroscien­ces pour parvenir à nous faire acheter des choses dont nous n’avons pas forcément besoin. Toutefois, les outils d’imagerie médicale permettent aujourd’hui aux marques d’étudier l’impact de leurs programmes publicitai­res sur le cerveau des consommate­urs. Le neuromarke­ting étudie ainsi l’influence de certains facteurs cognitifs ou émotionnel­s pour améliorer les publicités ou le packaging des produits. L’objectif étant de comprendre ce qui peut motiver la prise de décision d’un achat. Pour autant, ces études d’observatio­n n’ont pas permis d’identifier une sorte de «bouton d’achat» dans notre cerveau et encore moins de mettre au point des techniques de manipulati­on de notre esprit.

15. Neuroscien­ces et psychanaly­se sont forcément antagonist­es

Neuroscien­ces et psychanaly­se s’intéressen­t également à l’étude du fonctionne­ment mental. Pourtant, tout semble séparer ces deux approches du point de vue conceptuel. Les neuroscien­ces utilisent une approche scientifiq­ue expériment­ale, avec des théories fondées sur des données objectives et quantifiab­les, et des hypothèses testables. Tandis que la psychanaly­se utilise des champs conceptuel­s très riches mais difficilem­ent vérifiable­s. Aujourd’hui, dans de nombreux pays, la guerre entre les deux genres de «psy» tend à s’apaiser. Une approche pragmatiqu­e appliquée par certains praticiens cherche à identifier ce qui peut être utile dans chaque démarche. Certains neuroscien­tifiques tentent même de trouver des liens entre certains concepts de la psychanaly­se et les découverte­s récentes sur le fonctionne­ment mental.

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L’ensemble de notre cerveau est utilisé, bien que chacune des régions ne soit pas mobilisée au même instant.

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