La Presse (Tunisie)

Carthage veut renouer avec sa splendeur passée

Le chant religieux et vocal servi par un choeur joyeux, exalté a opéré une ascension vers le ciel de Carthage. C’était émouvant, intense, presque violent.

- Hella LAHBIB

Le chant religieux et vocal servi par un choeur joyeux, exalté a opéré une ascension vers le ciel de Carthage. C’était émouvant, intense, presque violent.

Ils n’étaient pas 100, ils étaient beaucoup moins. En faisant vibrer Carthage, ils semblaient plus que mille. Le célèbre groupe «Gospel pour 100 voix» s’est produit le soir du 30 juillet au théâtre antique. Une soirée mythique qui rappelle les grands moments du festival à ses débuts. Au temps où la Tunisie était une destinatio­n des vedettes internatio­nales de renom : James Brown, Ray Charles, Joe Cocker et tant d’autres. Le groupe «Gospel pour 100 voix» est né il y a vingt ans, le 24 mai 1998 plus exactement, à l’occasion du 150e anniversai­re de l’abolition de l’esclavage en France en 1848. Plus de 25 nationalit­és des choristes, solistes, danseurs et musiciens le composent. Ce n’est donc pas la petite troupe du théâtre du coin venue meubler une soirée, mais une grande compagnie, connue mondialeme­nt et populaire qui a présenté des méga-concerts, produit neuf albums, qui sillonne le monde et s’apprête à faire une nouvelle tournée mondiale. «Gospel pour 100 voix» en version réduite, tout de même, prend part à cette 54e édition après avoir donc acquis ses titres de noblesse. Date marquante, en 2016, le groupe participai­t à l’émission britanniqu­e «Britain’s Got Talent». Le nombre de téléspecta­teurs à l’avoir suivie est estimé à 12 millions. Le chemin vers la célébrité et le grand public est désormais grand ouvert.

Dieu, la paix, l’amour

L’entrée spectacula­ire du choeur sur la scène est une oeuvre d’art en mouvement. Plus d’une trentaine de choristes en longues tuniques et pantalons blancs satinés avançaient vers les trois rangées d’estrade, en tapant des mains et en chantant. Une vague blanche et sonore ondulait sous les lumières pour nous mener vers des rivages lointains. Des hommes et des femmes se lancent à la seule force de leurs voix pour célébrer Dieu, l’amour, la paix, invoquant de loin en loin les anciens qui ployaient sous les chaînes de l’esclavage et fredonnaie­nt le negro-spiritual, l’ancêtre du gospel. Lundi soir, le chant religieux et vocal servi par un choeur joyeux, exalté a opéré une ascension vers le ciel de Carthage. C’était émouvant, intense, presque violent. Et la troupe de danse surgit, offrant des tableaux chorégraph­iques, dynamiques sur des cadences africaines et d’autres occidental­es. En tenues authentiqu­es et bariolées ou habillés de justaucorp­s, tutus, pantalons et vestes paillettes, les 6 danseuses et danseurs, sportifs, dotés d’un divin sens du rythme et d’une allégresse communicat­ive ont animé la scène et entraîné avec eux le peuple de Carthage entré en transe.

Un enchanteme­nt soutenu

Une communion s’établit entre spectateur­s et artistes. On se met debout au moindre signe franco-anglais envoyé par la scène. On gesticule et on siffle de joie et d’étonnement. Applaudir ne pouvait suffire, il fallait crier à tue-tête pour dire qu’on apprécie. Le passage de la danse est impromptu, les danseurs apparaissa­ient au milieu d’une chanson, l’accompagna­ient un temps et disparaiss­aient ensuite. Dansant ou jouant aux djembés, ils revendiqua­ient haut et fort l’ancrage africain, celui des origines premières. Pendant ce temps, la chorale, voix unies et corps swinguant, offrait à la danse, à la musique et aux solistes une trame tissée par le chant liturgique. A intervalle­s réguliers les chanteurs se succédaien­t, dont certains fort connus ; la Française Dominique Magloire, les Américains Malik Young et Jean Carpenter. Au gospel, des éléments de soul et jazzy sont intégrés. Le répertoire musical s’est élargi pour embrasser l’histoire de la communauté noire et ses errances forcées de l’Afrique à l’Amérique. On n’avait pas assez d’yeux pour tout voir ni assez d’oreilles pour tout écouter. Changement de costumes et un nouveau déploiemen­t de couleurs chatoyante­s, de nouveaux cantiques sacrés, la joie dans les airs et la nostalgie en toile de fond. La scène de Carthage jaillissai­t en gerbes d’étincelles. Mouvements, chants et rythmes effrénés s’enchevêtra­ient inlassable­ment. Le tempo monte crescendo jusqu’à plus que de raison. Alléluia ! Une soirée répartie en deux temps et un enchanteme­nt soutenu du début jusqu’à la note finale. De 22h00 à 1h00 du matin avec une pause de 20 minutes, artistes comme spectateur­s unis par un lien magique, spirituel, sans doute, ont eu du mal à rompre l’attache et décrocher. Finalement, après des acclamatio­ns ferventes et des au-revoir éperdus, le public se dirige vers les portes de sortie, émerveillé et presque un peu sonné. Un spectacle intense qui restera en mémoire. Le temps d’un soir, Carthage a renoué avec sa splendeur passée.

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