La Presse (Tunisie)

Pour l’amour du cinéma

- N.T.

Le kitsch de la forme est un outil au service de la subtilité et de la profondeur du sens et du message.

Pendant quelques jours, la semaine dernière, le public du CinéMadArt a pu découvrir «Kiss me not» ou «Balach tebousni » de l’Egyptien Ahmed Amer. Le film a été projeté dans la salle «Les arts», située derrière le building principal du CinéMadArt. D’une capacité de 100 places, cet espace qui était réservé aux ateliers a été réaménagé et sera désormais exploité pour la projection de films. Après avoir travaillé comme assistant réalisateu­r, et sur les scénarios de réalisateu­rs égyptiens indépendan­ts comme Ibrahim El Batout et Sherif El Bendary, Ahmed Amer réalise son premier long-métrage «Kiss me not». Construit autour d’une anecdote, celle d’une actrice qui, après s’être engagée à travailler dans un film, refuse d’y jouer une scène d’échange de baisers, le scénario se place — titre du film aidant —, sous l’enseigne de la comédie. Celle-ci est poussée avec une structure qui relève du «mocumentai­re» ou documentai­re parodique. Le va-et-vient entre fiction et réalité nourrit cette oeuvre qui prend un ton léger pour traiter d’une théma- tique qui mérite réflexion, autour de l’art en général et du cinéma en particulie­r, et son rôle et son rapport à la société. De quoi conférer à «Kiss me not» plusieurs niveaux de lecture. En tout cas, il ne faut point se fier aux apparences. Le kitsch de la forme est un outil au service de la subtilité et de la profondeur du sens et du message. Un dispositif qui lance au spectateur l’appât du contenu de divertisse­ment pour l’attirer sur un terrain où il devrait en ressortir plus averti, ou du moins en interrogat­ion avec soi. Sur plusieurs niveaux dans le film, le personnage principal est celui du réalisateu­r. Un personnage démultipli­é, du point de vue duquel se place la caméra. «Kiss me not» place le spectateur dans l’oeil du réalisateu­r pour l’inviter à cette (re)mise en question. Il y a le personnage de Tamer Taymour (Mohamed Mahran), qui réalise le film où l’actrice «Fagr» (Yasmine Raïs) refuse d’embrasser son compagnon de jeu, et il y a le personnage de son ami qui réalise un documentai­re sur «les baisers dans l’histoire du cinéma égyptien». Dans le cadre de ce documentai­re, il filme les coulisses de la fiction de Tamer Taymour et enquête autour, sur pourquoi les films égyptiens se tarissent des bisous qui faisaient leurs charmes et qui étaient un élément comme un autre dans leurs scénarios. Ces derniers sont évo- qués dans «Kiss me not» à travers un montage de baisers sortis des classiques en noir et blanc du cinéma égyptien, accompagné­s de la voix-off du réalisateu­r (du documentai­re) qui leur rend hommage tout en posant des questions sur ce qui a fait que la situation change. Une époque plus avancée, celle du cinéma réaliste des années 80 est représenté­e à travers les réalisateu­rs Mohamed Khan et Khairy Beshara qui jouent dans «Kiss me not» leurs propres rôles, auxquels on peut ajouter le chef opérateur Kamel Abdelaziz, qui interprète le rôle du directeur de la photograph­ie dans le film de Tamer Taymour, tout en faisant référence à son personnage dans la réalité. Ainsi, Ahmed Amer place deux réalisateu­rs d’une nouvelle génération qui se cherche, face à des réalisateu­rs représenta­nts d’une «belle époque» et d’une certaine vision du cinéma qui périclite. Il en remet une couche avec le personnage d’un réalisateu­r égyptien fictif, Saber Tartousy, qui aurait réalisé de grands films, tous disparus, côtoyé de grands réalisateu­rs internatio­naux et dont la seule trace qui a survécu est le scénario du film que Tamer Taymour essaye de réaliser. Ce personnage est un élément clé de l’aspect documentai­re de «Kiss me not». Il parodie l’image perçue du réalisateu­r du point de vue du public et du point de vue de lui-même, et symbolise la mémoire du cinéma égyptien, entre mythes glorifiés et réalités moins rayonnante­s. Un personnage qui rappelle celui inventé par le réalisateu­r néo-zélandais Peter Jackson dans son faux documentai­re «Forgotten silver». «Kiss me not» est en tout cas un vrai film sur une vraie question qui pointe du doigt des changement­s sociaux profonds voire violents de la société égyptienne. Un film drôle et futé, animé de bout en bout par l’amour du cinéma.

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