Au-delà d’une crise des valeurs
PRIÈRE en pleine avenue Habib-Bourguiba à Tunis. Ce qui s’est passé ce vendredi 3 août — tout un symbole — n’est pas un fait divers. Il s’agit d’un acte très dangereux. Il annonce un retour en force de l’esprit fanatique, obscurantiste, démagogique, violent à un moment où l’on avait, à tort, cru que le pays avait triomphé du radicalisme, de l’extrémisme et du terrorisme. Cela n’est pas sans nous rappeler la triste période 2011-2013 de la Troïka, les discours de la haine, les tentes salafistes, l’envoi de jeunes Tunisiens en Syrie, pour mourir…
En réaction à l’accomplissement de la prière à l’avenue Habib-Bourguiba « en marge d’une manifestation autorisée, organisée vendredi par un parti politique », le ministère de l’Intérieur a déclaré « avoir pris toutes les mesures nécessaires pour poursuivre les contrevenants ».
Il s’agit d’ « une violation de la loi », selon un communiqué rendu public hier par le ministère de l’Intérieur. Tout en réaffirmant son attachement à préserver les droits constitutionnels et juridiques relatifs à la liberté d’expression, le département de l’Intérieur appelle l’ensemble des partis et les composantes de la société civile à respecter les lois et les réglementations en vigueur. Voilà qui vient remettre les pendules à l’heure. Sans ce rappel à l’ordre ferme mais relativement tardif, nous serions tentés de nous poser une question essentielle au moment où par ailleurs la polémique enfle au sujet du rapport de la Colibe (Commission des libertés individuelles et de l’égalité) : la Tunisie connaît-elle une crise d’Etat ou une crise dans l’Etat ? Une crise morale et des valeurs ?
Le sens donné aux mots n’est pas neutre. Le terme de crise désigne soit une manifestation violente d’un état morbide, soit un changement qui présage un autre. Par une conjonction d’éléments différents, mais convergents, on assiste à un phénomène de mise à mort d’un semblant de démocratie avec une impasse économique aiguë et une réglementation incomprise, ce qui engendre une crise politique, morale et civique sans précédent. Il faut donc reconnaître que le risque d’un retour en force des discours radicalistes est avant tout la résultante d’une crise morale profonde en l’absence d’un véritable et nouveau projet sociétal fédérateur.
Par une conjonction d’éléments différents, mais convergents, on assiste à un phénomène de mise à mort d’un semblant de démocratie avec une impasse économique aiguë et une réglementation incomprise, ce qui engendre une crise politique, morale et civique sans précédent.