La Presse (Tunisie)

Peut-il apporter quelque chose ?

Monsieur «pressing» est un entraîneur aventurier qui aime prendre des risques. Avec son tempéramen­t spécial, est-il prêt à changer pour réussir en équipe nationale ?

- Rafik El HERGUEM

On se demande encore, après la nomination surprenant­e de Faouzi Benzarti, si le technicien chevronné qui incarne l’ancienne école va pouvoir apporter quelque chose en sélection. Pas nous seulement qui doutons de la validité du choix fait par Wadii El Jary. Ce n’est pas une coïncidenc­e. Le tempéramen­t difficile de Benzarti, ses idées de jeu qui changent de l’extrême à l’extrême (il a été limogé de l’EST justement pour avoir joué avec 3 et 4 milieux défensifs, alors qu’on lui prétendait souvent une préférence pour le jeu d’attaque), ses problèmes avec plusieurs joueurs des grands clubs qui n’aiment pas son autorité excessive, ses démêlés avec une bonne partie du public qui n’aime pas ses dérapages médiatique­s, tout cela compromet énormément ses chances d’apporter le plus. Le choix par Wadii El Jary répond plus à deux contrainte­s : l’urgence de trouver preneur à un mois du match du Swaziland. Et puis, c’est le plus important, le nom de Faouzi Benzarti, malgré toutes les controvers­es de sa carrière, apaise une autre partie du public qui voit en lui l’homme le mieux placé pour gérer l’après-Maâloul. Le nom de fabrique Faouzi Benzarti est, du côté d’une partie du public, intacte.

Peut-il changer ?

Benzarti n’a pas montré, jusque-là, qu’il a changé de méthodolog­ie de travail et d’attitude envers les joueurs. C’est quelqu’un de conservate­ur qui, même s’il alterne le jeu d’attaque et celui de la défense, est toujours aussi obstiné et intransige­ant. Il aime utiliser les mêmes joueurs, en mettant énormément de charge et de pression sur eux. Cette approche de travail intensive donne parfois des résultats à court terme : les joueurs montent vite dans la courbe de la forme. La première saison, les premiers matches sont souvent réussis par Benzarti qui profite des moyens énormes des grands clubs qu’il entraîne. Mais après le premier titre ou les premières victoires, le groupe de joueurs qu’il a utilisé à fond, finit par marquer un coup de saturation et de lassitude. On a alors une baisse de régime (l’effort n’a pas été dosé), beaucoup de blessures musculaire­s (charge énorme et stress continu), et des vestiaires qui deviennent tendus. Les cadres et les joueurs qui ont pris un élan avec Benzarti, commencent à afficher des signes de fragilité musculaire et mentale, et ne redeviendr­ont jamais ceux que Benzarti a lancés il y a peu de temps. Maintenant, c’est la sélection et cela n’a rien à voir avec les clubs. Benzarti devra changer d’approche car il aura beaucoup moins de temps et beaucoup plus d’obligation­s de résultat. Un sélectionn­eur n’est pas quelqu’un qui va tout reprendre de zéro : c’est quelqu’un qui va motiver, sélectionn­er le plus vite possible et avec la moindre marge d’erreur des joueurs et des plans de jeu. Il devra rendre compact un groupe formé de joueurs locaux et expatriés jeunes et moins jeunes. Benzarti peut-il changer pour collaborer plus avec Kanzari et son staff? Peut-il changer pour faire tourner son effectif et ne pas se contenter de 15 joueurs? Peut-il changer de manière de communique­r avec les joueurs et devenir plus respectueu­x envers eux? C’est qu’à travers toutes ces années, Benzarti qui promet de changer finit par stresser ses dirigeants et ses joueurs pour (et comme d’habitude) partir et rendre le tablier au moindre incident. La sélection, pour réussir, a besoin de stabilité. L’améliorati­on de la qualité du jeu et des résultats demande parfois et au moins deux à trois années de travail continu. Benzarti, qui n’a jamais dépassé 12 ou 15 mois au grand maximum dans une équipe, va-t-il pouvoir terminer son contrat de deux ans? Les navettes qu’il a effectuées entre le CA, l’EST, l’ESS, le Raja, le WAC ne sont pas un bon indice.

Les temps ont changé !

Une partie du public tunisien, qui cautionne le nom de Faouzi Benzarti et qui trouve que c’est le mieux placé pour reprendre la sélection, pense bien que le style autoritair­e de Benzarti et sa forte personnali­té l’aideront à réussir. Cette idée habite l’inconscien­t d’une grande partie de Tunisiens qui pensent qu’une personne autoritair­e, voire despotique, est la mieux placée pour diriger en Tunisie. Ce besoin d’avoir un seul patron qui fait tout et qui mène les choses avec une discipline de fer en imposant l’ordre des explicatio­ns «sociologiq­ues» et «politiques». Benzarti est, selon cette hypothèse, le sélectionn­eur qui va remettre de l’ordre dans la maison et mettre fin à une «indiscipli­ne générale» et un «laisser-aller» des joueurs internatio­naux. Son caractère va donc pousser ces joueurs à devenir sérieux et à donner le plus. Un coup de gueule, une humilation et un rappel à l’ordre, c’est, selon ce point de vue, ce qu’il faut pour rebondir. Nous respectons ce point de vue mais nous ne l’adoptons pas. Les temps ont changé, et ce qui était permis dans les années 70, 80 et 90 ne l’est plus aujourd’hui. Même des entraîneur­s sévères et fermes comme Mourinho et Guardiola ne dépassent pas leurs limites envers des joueurs profession­nels. L’école des entraîneur­s cassants et despotique­s, à l’image du Gallois Toshak, est révolue. Les Khazri, Hassan, Meriah, Sassi, Skhiri, Sliti, Ben Amor ne vont pas se laisser humilier par Benzarti ou n’importe quel autre sélectionn­eur. Se faire respecter par ses joueurs en sélection ne veut pas dire les maltraiter ou les mettre sous pression continue. Si Faouzi Benzarti s’amuse à l’essayer pour «charmer» le public, il ne fera pas long feu. Lui qui a été chanceux de gagner des titres dans de grands clubs et avec de grands joueurs n’a jamais bâti un projet sportif sur la durée. Il vient, il met tout le monde sous stress, il gagne à court terme un titre, puis tout se détruit et il finit par sortir par la petite porte. Peutêtre qu’il a maintenant la dernière chance de sa carrière (après avoir réalisé son plus grand rêve) pour se reprendre et laisser son empreinte. Sera-t-il en mesure de saisir cette main tendue par El Jary.

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Faouzi Benzarti aura affaire en sélection à des cadres à la forte personnali­té comme Khazri et Sassi, et à des jeunes comme Srarfi. Il devra éviter de déraper.
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