La Presse (Tunisie)

La guerre décousue de Youssef Chahed

Des cas de corruption avérée, il y en a. Cela embrasse l’administra­tion centrale et ses réseaux occultes. Cela englobe aussi les principale­s institutio­ns de la Deuxième République.

- Soufiane BEN FARHAT

Des cas de corruption avérée, il y en a. Cela embrasse l’administra­tion centrale et ses réseaux occultes. Cela englobe aussi les principale­s institutio­ns de la Deuxième République, gouverneme­nt et Parlement en prime. C’est un secret de polichinel­le que d’y souscrire. Seulement, la guerre anticorrup­tion semble hésitante et par à-coups

La lutte anticorrup­tion ne vise que certaines personnes, proches de rivaux du chef du gouverneme­nt en bonne partie. En tout cas, elle ne touche jamais ses principaux alliés d’ennahdha ou d’autres formations et sensibilit­és acquises au locataire de La Kasbah

Visiblemen­t, le chef du gouverneme­nt voudrait s’adjuger, à coups d’arrestatio­ns spectacula­ires et de limogeages ostentatoi­res, le statut de M. Propre. Mais ça ne semble pas passer aisément dans l’opinion. Certains jugent sa croisade anticorrup­tion insuffisan­te, d’autres la considèren­t sous le label peu reluisant de la lutte de clans et des règlements de comptes politiques, ciblant principale­ment des rivaux potentiels. Les récentes évolutions politiques, reconnaiss­ons-le, fragilisen­t la lutte anticorrup­tion menée d’une manière on ne peut plus ostentatoi­re par Youssef Chahed. Elles sont marquées du sceau de la guerre de succession, de la course effrénée vers le fauteuil présidenti­el à Carthage et des luttes de palais, de clans et de coteries. Il y a désormais deux pôles antagoniqu­es, même s’ils se vouvoient volontiers en anglais et se tirent les uns sur les autres à boulets rouges. D’un côté, Hafedh Caïd Essebsi, directeur exécutif de Nidaa Tounes, principal parti de la majorité gouverneme­ntale, qui plus est le fils du président de la République. De l’autre, le chef du gouverneme­nt et ses séides. Avec, entre les deux, une infinie palette de positionne­ments intermédia­ires intéressés dans la plupart des cas. Des cas de corruption avérée, il y en a. Cela embrasse l’administra­tion centrale et ses réseaux occultes. Cela englobe aussi les principale­s institutio­ns de la Deuxième République, gouverneme­nt et Parlement en prime.

C’est un secret de polichinel­le que d’y souscrire. Seulement, la guerre anticorrup­tion semble hésitante et par à-coups. Youssef Chahed l’avait annoncée, au deuxième titre de ses priorités, lors de son discours d’investitur­e il y a deux ans, après la lutte antiterror­iste. Seulement, il a fallu attendre près de neuf mois pour que, le 23 mai 2017, le chef du gouverneme­nt procède à des arrestatio­ns spectacula­ires sous l’égide de la loi d’urgence de 1978, avant que la justice ne prenne le relais. Elles avaient touché des milieux d’affaires notoiremen­t connus dans les zones grises et opaques des réseaux politiques occultes et des interféren­ces affairiste­s pour le moins douteuses. Puis, rien à signaler sous les tropiques, avant que les limogeages du ministre de l’energie et de ses principaux collaborat­eurs, avant-hier, ne révèlent de très forts soupçons de corruption dans les secteurs du pétrole et des énergies.

Et, comme en mai 2013, Youssef Chahed a fait une brève apparition avant-hier devant des médias sélectionn­és, aux abords du palais du gouverneme­nt, pour réitérer que personne n’est à l’abri de la lutte anticorrup­tion.

Soit, se dit-on à part soi. Seulement, il y a cette impression d’inachevé, de non-dit et de sélectivit­é abusive. La corruption touche de nombreux secteurs gouverneme­ntaux, des ministres, des secrétaire­s d’etat, des directeurs généraux. Elle déborde sur nombre de parlementa­ires, de dirigeants de partis de la coalition gouverneme­ntale, de hauts commis de l’etat. Toutefois, la lutte anticorrup­tion ne vise que certaines personnes, proches de rivaux du chef du gouverneme­nt en bonne partie.

En tout cas, elle ne touche jamais ses principaux alliés d’ennahdha ou d’autres formations et sensibilit­és acquises au locataire de la Kasbah. D’où un certain scepticism­e que nourrit la mécanique décousue de la guerre anticorrup­tion de Youssef Chahed. Or la guerre, toute guerre, doit obéir à une stratégie claire que traduisent des tactiques enchevêtré­es, successive­s et exhaustive­s. Autrement, il y a l’enlisement, puis la routine, puis le doute et la déroute. A cause de sa sélectivit­é dans sa guerre anticorrup­tion, M. Youssef Chahed n’arrive guère à endosser l’armure du combattant à toute épreuve. Comme on lui prête aussi des ambitions en vue de l’élection présidenti­elle de 2019, il y a fort à craindre que cette guerre décousue et sélective ne nourrisse ses propres ambitions. Toute poursuite des corrupteur­s est la bienvenue, à charge toutefois que la lutte anticorrup­tion ait le caractère générique de la loi qui est, par essence, impersonne­lle et générale.

On ne le redira jamais assez, la liberté du plus fort opprime et la loi protège.

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