La Presse (Tunisie)

Concis et fécond

Un siècle après, l’oeuvre de Tahar Haddad reste encore d’actualité et semble avoir été écrite récemment, compte tenu de son immanence. Malgré tout ce qui a été publié sur ce penseur éclairé et son oeuvre avant-gardiste, il n’empêche qu’il existe des manus

- Neila GHARBI

Le fascicule de 35 pages est un texte court retrouvé chez Ahmed Driî, ami de Tahar Haddad, et offert à Beit El Hikma par sa fille Kalthoum Mezyar. Un texte sarcastiqu­e dans lequel Tahar Haddad revient une fois encore sur ceux, des religieux rétrograde­s, qui veulent imposer leur diktat à la femme en appliquant à la lettre la Chariâ. Il s’agit d’ultraconse­rvateurs dont l’objectif est de maintenir la femme dans un statut d’être inférieur et immature qui doit obéir au doigt et à l’oeil à l’homme, qu’il soit son mari, son père ou son frère.

Prenant comme prétexte le Coran, ces obscuranti­stes tentent de réduire la femme au statut d’être inférieur incapable de maîtriser ses pulsions et de penser sa vie. S’appuyant sur quelques sourates du Coran, Tahar Haddad montre à quel point le texte coranique est ouvert et évolutif, mais malheureus­ement sujet à de mauvaises, voire fausses interpréta­tions. Selon lui, seuls l’éducation et le savoir sont les voies vers la renaissanc­e et les lumières. «L’apologie de l’inertie et du renouveau» résume de manière succincte et lucide la pensée avant-gardiste d’un des grands penseurs arabes de notre temps, au sujet de la religion, des libertés, socles de notre société moderne contre les esprits obscuranti­stes moyenâgeux. Le texte éclaire le lecteur sur le fait religieux, son interpréta­tion et son utilisatio­n dans un sens unilatéral et équivoque pour que la société tunisienne et, par extension, arabe demeure rétrograde et soumise au bon vouloir des obscuranti­stes. Il est bon de rappeler que depuis l’indépendan­ce, la Tunisie s’est dotée d’une législatio­n sociale avant-gardiste : le Code du Statut Personnel (CSP). Ce dernier pose le principe de l’égalité hommefemme en institutio­nnalisant pour la première fois en Tunisie et dans le monde arabe les droits de la femme. C’est grâce à Tahar Haddad, qui a payé un lourd tribut à son courage, que les propositio­ns de ce défenseur des droits de la femme ont été à la base du CSP. Habib Bourguiba a mis en place le CSP, ouvrant ainsi la voie à l’intégratio­n de la femme dans le processus de développem­ent. Un acte politique courageux qui restera inscrit dans l’histoire. Suppressio­n de la polygamie et institutio­n des tribunaux pour le divorce ont suscité le courroux des Oulémas de la Zitouna qui accusaient Tahar Haddad de transgress­er les règles du Coran. Son livre «Notre femme dans la Charî’a et la société» a fait scandale dans le milieu politique tunisien et auprès des érudits de la grande Mosquée de l’époque. Un conseil supérieur religieux se réunit illico presto pour statuer sur son cas. Considéré comme subversif, le livre de T.haddad est désigné à la vindicte publique. Son auteur, accusé de sacrilège, est condamné au retrait de son titre universita­ire et empêché d’exercer le notariat. Victime de proscripti­on des conservate­urs et de ses propres amis politiques, Tahar Haddad est contraint à l’isolement. Il décède, à l’âge de 36 ans, le 7 décembre 1935, des suites d’une maladie cardiaque. Son oeuvre lui survivra malgré tout et envers tous.

«L’apologie de l’inertie et du renouveau» de Tahar Haddad Prix : 4 D

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