La Presse (Tunisie)

La haute mer, un réservoir de ressources génétiques

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Du 4 au 17 septembre, se tient à New York la première session de négociatio­ns sur le statut juridique de la haute mer, qui représente plus de la moitié de la planète. L’objectif est de préserver sa biodiversi­té à l’heure où s’intensifie­nt les pressions humaines et climatique­s.

Les ressources génétiques marines et la question de leur partage seront au coeur des négociatio­ns qui débutent aujourd’hui mardi aux Nations unies sur la haute mer (à plus de 200 milles des côtes), qui couvre environ 46% de la surface de la planète et n’est contrôlée par aucun Etat. L’intérêt pour ces ressources, longtemps négligées faute d’être connues et de la technologi­e nécessaire pour les exploiter, s’est amplifié à partir des années 1980. Au cours des quinze dernières années, le nombre de dépôts de brevets internatio­naux liés à des espèces marines s’est envolé, selon une étude parue en juin dans la revue Science Advances.

Et la tendance va se poursuivre, avec un marché mondial des biotechnol­ogies marines qui pourrait peser 6,4 milliards de dollars d’ici 2025.

Actuelleme­nt, les entreprise­s privées sont à l’origine de 84% des dépôts de brevets sur les ressources marines génétiques, loin devant les université­s (12%). Le géant allemand de la chimie Basf se taille la part du lion avec 47% des brevets déposés.

Trois pays dominent le secteur : l’allemagne, les Etats-unis et le Japon.

Si la haute mer intéresse tant, c’est qu’«elle recouvre une diversité d’habitat extraordin­aire et donc une biodiversi­té foisonnant­e», explique la biologiste Françoise Gaill, qui coordonne le conseil scientifiq­ue de la Plateforme océan et climat.

Les océans sont considérés comme le berceau de la vie et les organismes vivants s’y sont développés et adaptés depuis plus longtemps que sur la terre ferme. Les abysses, longtemps considérés comme des espaces morts, regorgent de vie.

Les conditions de vie dans les grands fonds marins —absence de lumière, fortes pressions, acidité importante, chaleurs extrêmes près des sources hydrotherm­ales— ont conduit les animaux et les micro-organismes (bactéries, virus...) qui les peuplent à développer des caractéris­tiques particuliè­res qui intéressen­t la médecine et la cosmétique.

Coût important de la recherche

Déjà, des éponges marines ont permis le développem­ent de traitement­s anticancér­eux. Un gastéropod­e, le conus magus, offre un antalgique 1.000 fois plus puissant que la morphine. D’autres organismes, des algues, des crustacés ou des méduses, possèdent des propriétés utilisées pour le matériel médical.

La cosmétique n’est pas en reste, avec une multitude de crèmes et de sérums comprenant des actifs issus de la mer.

Mais les ressources génétiques marines ne sont pas à la portée de tous. Monter une semaine d’expédition pour récolter des coraux en eaux profondes coûte 455.000 dollars, selon l’étude parue dans Science Advances.

La recherche «nécessite un important investisse­ment technologi­que et une capitalisa­tion du savoir sur le plan moléculair­e et océanograp­hique que n’ont pas nécessaire­ment les pays du Sud», souligne Sophie Arnaud-haond, chercheuse à l’institut français de recherche pour l’exploitati­on de la mer (Ifremer).

«Le premier à déposer un brevet va s’octroyer l’utilisatio­n partielle d’une molécule particuliè­re», poursuit la scientifiq­ue, qui déplore aussi que dans la quasimajor­ité des cas, l’origine des séquences génétiques brevetées ne soit pas connue. La convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982 ne s’est pas intéressée directemen­t aux ressources marines génétiques car, à l’époque, elles étaient très mal connues, indique Julien Rochette, directeur du programme Océan à l’institut du développem­ent durable et des relations internatio­nales (Iddri).

Se pose à présent la question de leur exploitati­on et de leur partage. La biologiste Françoise Gaill plaide pour que la haute mer devienne un «bien commun de l’humanité», dans un souci d’«équité» entre pays riches et pauvres.

Ces derniers seront d’ailleurs très attentifs à la question des ressources marines génétiques lors des négociatio­ns à L’ONU, prévues pour durer jusqu’en 2020, souligne Julien Rochette. Ce sera «le sujet le plus complexe d’un point de vue technique et juridique, car il renvoie à la création d’un mécanisme pour lequel il n’y a pas beaucoup d’autres modèles», estime le juriste.

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Comme bien d’autres espèces, les baleines parcourent de grandes distances en haute mer lors de leurs migrations.

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