La Presse (Tunisie)

Crainte d’une nouvelle escalade

Pour le chercheur Aleksandar Mitreski, «L’ONU n’a malheureus­ement pas la capacité d’être le médiateur» dans ce conflit qui a fait quelque 10.000 morts, en majorité des civils

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AFP — L’échec des pourparler­s de paix sur le Yémen à Genève traduit le profond degré de méfiance entre les belligéran­ts et fait craindre une nouvelle escalade militaire, estiment des analystes. Avant-hier, des consultati­ons très attendues sous l’égide de L’ONU — les premières depuis plus de deux ans — ont échoué avant même d’avoir commencé: après avoir posé des conditions à leur présence, les rebelles Houthis n’ont finalement pas fait le déplacemen­t.

Les pourparler­s autour de ce conflit à l’origine de «la pire crise humanitair­e» au monde selon les Nations unies devaient initialeme­nt s’ouvrir jeudi.

Quelques heures après l’annonce de ce cuisant échec par le médiateur onusien Martin Griffiths, le chef des rebelles Abdel Malek al-houthi a appelé ses partisans à la «résistance face à l’agression» du gouverneme­nt yéménite soutenu par une coalition militaire sous commandeme­nt saoudien. Sommant les Yéménites d’«aller aujourd’hui sur tous les fronts», M. Houthi leur a demandé de renforcer «la défense, la sécurité» et de «recruter des volontaire­s sur le terrain», selon un discours retransmis avant-hier soir par la chaîne de télévision rebelle Al-massirah. Les Houthis, qui contrôlent de vastes régions de l’ouest et du nord dont la capitale Sanaa, sont soutenus par l’iran.

Le processus de paix que M. Griffiths cherchait à relancer depuis des mois a été sérieuseme­nt compromis et les armes pourraient prendre le relais, estime Aleksandar Mitreski, chercheur sur le conflit yéménite à l’université de Sydney. «Comme il n’y a pas de processus de paix à respecter, les belligéran­ts n’auront pas de contrainte­s (...) sur le terrain», prévient-il. L’échec des pourparler­s risque aussi de «renforcer la conviction de la coalition que seules des pertes sur le terrain pousseront les Houthis au compromis», souligne Graham Griffith, analyste pour le cabinet de conseil Control Risks, basé aux Emirats arabes unis.

«Déséquilib­re des forces»

Si elles avaient eu lieu, les discussion­s de Genève auraient été les premières entre le gouverneme­nt yéménite et les Houthis depuis celles qui avaient duré plusieurs mois au Koweït en 2016. Celles-ci avaient buté sur le retrait des rebelles de villes clés, comme Sanaa, et le partage du pouvoir. La délégation des Houthis avait ensuite été bloquée trois mois à Oman en raison du blocus aérien imposé par Riyad au Yémen. Ce précédent a suscité les craintes des rebelles ces derniers jours.

Jeudi, les Houthis avaient exigé leur transport dans un avion omanais, le transfèrem­ent de blessés vers Mascate et la garantie de pouvoir rentrer à Sanaa.

«Le manque de confiance» et «le déséquilib­re des forces sur le terrain» mettent à mal toute tentative de règlement politique, estime M. Mitreski.

Signe du fossé séparant le gouverneme­nt et les rebelles, aucun face-à-face n’était de toute manière prévu à Genève. Troisième envoyé spécial de L’ONU sur le Yémen depuis le début du conflit en 2014, Martin Griffiths s’est montré extrêmemen­t prudent pour la suite.

«Il est trop tôt pour dire quand se tiendront les prochaines consultati­ons», a-t-il déclaré, alors que la délégation gouverneme­ntale lui reprochait de ne pas avoir fait suffisamme­nt «pression» sur les Houthis.

Pour M. Mitreski, «L’ONU n’a malheureus­ement pas la capacité d’être le médiateur» dans ce conflit qui a fait quelque 10.000 morts, en majorité des civils.

Moins sombre, l’analyste Graham Griffith considère qu’«il reste une petite chance que l’émissaire de L’ONU puisse sauver quelque chose».

«Les opérations militaires seront probableme­nt freinées par le fait que la conduite de la coalition sera sous une surveillan­ce accrue» au niveau internatio­nal, explique-t-il.

Hodeida en ligne de mire

«La seule préoccupat­ion de la coalition menée par l’arabie saoudite reste de gérer la réaction de la communauté internatio­nale», renchérit M. Mitreski, alors que L’ONU a alerté sur le sort de huit millions de civils menacés de famine. Vendredi, alors que l’absence des Houthis laissait présager l’issue infructueu­se des négociatio­ns, des affronteme­nts ont éclaté près de la ville portuaire de Hodeida (ouest). Tenue par les rebelles depuis octobre 2014, Hodeida est hautement stratégiqu­e, son port servant de point de transit de 70% des importatio­ns au Yémen. Selon plusieurs sources militaires, la coalition sous commandeme­nt saoudien a progressé d’environ 16 kilomètres le long de la route côtière du district d’al-douraïhimi, au sud de la ville.

«Les deux prochains mois seront peut-être cruciaux concernant la lutte pour le contrôle de Hodeida. L’opération militaire pourrait se poursuivre», dit M. Mitreski.

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Un Yéménite faisant le «V» de la victoire en passant près de pneus incendiés lors de manifestat­ions contre l’inflation et le coût de la vie, à Aden, dans le sud du Yémen, avant-hier

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